Huit mois après l’annonce de la fuite de données chez Desjardins, pourrions-nous dire que la coopérative a su procéder à une gestion de crise réussie ? Discussion sur un désormais célèbre cas d’étude en compagnie de Mylène Forget et Jean Gosselin.

Le sujet était un incontournable, voire une véritable mine d’or pour le Bye bye et les autres revues de fin d’année ; pour plusieurs, toutefois, il demeure aussi indigeste que les assiettes de ragoût servies au cours des dernières semaines. Près de huit mois après l’annonce du plus grand scandale québécois en matière de fuite de données personnelles, quelle opinion les stratèges en communication et en relation publique ont-ils de cette gestion de crise ? Une question à cent piastres que nous avons posée à deux experts. « D’emblée, je vous dirais que c’est pas une question à cent piastres, mais davantage une question à plusieurs millions que vous posez ! s’esclaffe au bout du fil Jean Gosselin, stratège en communication corporative. C’était du jamais vu ici en matière d’enjeux monétaires et de sécurité. C’est un cas d’étude qui a marqué l’imaginaire collectif de façon assez violente. Et pour répondre à votre question, je dirais que, dans les circonstances, Desjardins aurait difficilement pu faire mieux en termes de gestion de crise. Un tas de différents revirements inattendus sont encore possibles, mais, pour l’instant, disons que le travail a été bien fait. »

jean
Jean Gosselin
 

L'effet Cormier

Même son de cloche du côté de Mylène Forget. « Les bonnes pratiques et autres règles de bases en de gestion de crise ont été respectées dans ce cas-ci, affirme la présidente de Massy Forget Langlois Relations Publiques. On a agi et communiqué les informations rapidement, tant à l’interne qu’à l’externe ; on a outillé les alliés et les ambassadeurs pour leur permettre de transmettre des informations véridiques (et, surtout, on ne les a pas muselés) ; on a admis les faits, on a utilisé les bons canaux de communication et on a rassuré les gens en faisant preuve d’empathie envers les membres. En ce sens, Monsieur Cormier a fait de l’excellent boulot dans ses points de presse. » Jean Gosselin poursuit : « Ça envoie un message fort à la population quand tu vas chercher le plus haut palier de ton administration pour faire le messager. On peut en ce sens saluer l’excellente collaboration qu’il y a eu entre le président et les médias. Desjardins a joué la carte de la transparence et ça les a servis. Il y a des risques à admettre ses responsabilités (et nous le verrons encore davantage dans l’éventualité de procès). De mon côté, j’aurais été curieux de voir comment se sont déroulées les discussions avec les avocats et le département du légal dans cette gestion de crise. Ça ne s’est probablement pas déroulé dans l’allégresse. »
 

Rebondissements en série

Si nos experts s’entendent pour dire que la crise aura été bien contrôlée jusqu’ici, ils sont aussi d’accord sur le fait qu’un nombre incalculable d’impondérables peuvent encore survenir au cours des prochains mois. « Au cours des prochaines années, même, ou encore des prochains jours, renchérit Mylène Forget. Ce n’est pas être alarmiste ou prophète de malheur que de dire que de nouveaux chapitres à cette crise pourraient apparaître à n’importe quel moment. Ne suffirait qu’une série de vols d’identités ne survienne pour raviver les braises (encore chaudes) du drame. » D’autant plus que la saga a déjà connu sa part de surprise jusqu’ici. « De juteux rebondissements ont donné bien des maux de tête à l’administration au cours des derniers mois, poursuit Jean Gosselin. Au début, on parlait de 2,7 millions de membres touchés. Il aura ensuite fallu que Guy Cormier fasse de nouvelles sorties pour annoncer, cette fois, que la totalité des membres avait été touchée. C’est pas rien. Et je ne vous parle même pas des ennuis qu’aura connus Équifax à travers tout ça. C’est la goutte qui aura en quelque sorte fait déborder le vase pour plusieurs membres déjà exaspérés.»

mylene
Mylène Forget
 

Un geste concret 

Mylène Forget ajoute : « Dans ce cas-ci, Desjardins a été victime de la faiblesse de ses partenaires. C’était hors de leur contrôle, mais ça ne pouvait pas arriver à un pire moment. Cela dit, pour la suite, ils n’auront pas le choix de poser des gestes concrets pour démontrer qu’ils ont appris de ces erreurs (les leurs et celles de leurs partenaires) et que ce type de défaillance est désormais révolue au sein de l’entreprise. Une grande évaluation doit être faite. M’est d’avis qu’elle doit déjà être en cours. » Et la grogne publique contre Desjardins risque-t-elle de perdurer encore longtemps ? « Elle durera tant et aussi longtemps que nous n’aurons pas toutes les réponses à nos questions, tranche Jean Gosselin. Je ne saurais dire pour l’instant quelle est l’étendue des dommages qu’aura causés cette crise auprès de l’institution, mais deux choses seulement permettront de l’atténuer : y aura-t-il de nouveaux rebondissements dans cette saga ? Premièrement ; et quels seront les gestes que posera Desjardins pour que cela n’arrive plus jamais ? La coopérative doit lancer un message fort et prendre les moyens pour devenir un phare en matière de sécurité, rien de moins. »
 

Et la suite ?

Et comment pouvons-nous envisager la suite à court terme ? « Desjardins devrait tout mettre en œuvre pour faire passer l’opinion du grand public à autre chose, conclut Mylène Forget. Dans l’immédiat, elle devrait y aller d’une série d’annonces encourageantes et de bonnes nouvelles, question de redorer son blason et de rappeler à ses membres qu’il y a encore du bon qui émane de cette entreprise. » Jean Gosselin y va quant à lui d’un souhait : « Que la suite de la crise des fuites de données, peu importe ce qui adviendra, continue d’être mieux gérée que la crise qu’a traversée Desjardins en lien avec Groupe Capitales Média — qui s’est avéré être un fiasco. C’est rare qu’une entreprise traverse deux différentes crises en même temps ; c’est encore plus rare que la gestion des deux crises soit si différente. Sur la crise de Groupe Capitales Média, Desjardins aurait dû apprendre de… Desjardins. Quant à ce qui a trait à celle sur la fuite des données, attendons voir. Jusqu’ici, ça va. Nous ne sommes pas encore au dernier chapitre de l’histoire. »

desjardin