Ces dernières années, on a assisté à un essor de femmes occupant des postes de direction dans les maisons de production. Mais qu’en est-il de la proportion de réalisatrices comparativement à leur homologue masculin ? On top of your mind, pouvez-vous nommer une réalisatrice ? On discute parité en compagnie de femmes de tête chez Romeo & Fils, Cinélande, Gorditos, SOMA et Les Enfants.

Vague de productrices à la hausse

Septembre 2019, la maison de production Roméo & Fils réalisait un coup d’éclat en diffusant une photo d’équipe entièrement féminine. Elle s’était rebaptisée Romeo & Fil[le]s sur Facebook. France-Aimy Tremblay, fondatrice et chef des opérations du département publicitaire, avait alors reçu une barrique de messages positifs lui félicitant de ce changement de nom. Ce qui devait être un
stunt pour le back-to-school est demeuré sur la plateforme sociale. « Là, on dit juste Romeo, on est non genré maintenant ! (RIRES) » 

Ce portrait, composé que de femmes et croquée sur le vif par la photographe Gaëlle Leroyer, nous incite à nous poser la question suivante : est-ce un hasard qu’autant de dames sont à la tête de maisons de prod ? Nick Jolicoeur, productrice exécutive et présidente chez Groupe Cinélande, estime qu’il y a plus de femmes en production, car il y en a davantage qui œuvrent dans le milieu des communications. « Avant, quand j’ai commencé à travailler, c’était surtout des hommes dans les postes de direction en agence, en production et en création, mais on retrouve maintenant beaucoup de femmes dans ces postes. On n’a qu’à penser à Mélanie Dunn (Cossette), Samia Chebeir (FCB), Pénélope Fournier (lg2), Julie Provençal (Sid Lee). » Les modèles féminins ne sont pas non existants, donc. « C’est une progression qui est lente — on a beaucoup de chemin à faire — mais la progression est là », précise celle qui a 30 ans d’expérience dans le domaine.

Baignant dans le milieu de la production depuis près de 17 ans, Véronique Poulin, présidente et productrice exécutive chez Gorditos, explique que « les femmes ont su faire leur place et sont nombreuses en maison de production » puisqu’il est normal « qu’elles évoluent, et qu’elles arrivent en tête d’entreprise en 2019 ». « C’est une belle fierté de constater que de plus en plus de boîtes publicitaires montréalaises soient aujourd’hui dirigées par des femmes. Nous sommes loin des dernières décennies, où c’était complètement l’inverse. »

Geneviève Cabana-Proulx, présidente et productrice exécutive chez SOMA, qui exerce le métier depuis 13 ans, et Céline Ceillier, présidente et productrice exécutive chez Les Enfants, qui travaille dans le milieu depuis « un bon 27 ans », témoignent également qu’à leur début de carrière, les propriétaires de maison de production ont longtemps été très masculins, tandis qu’au cours des cinq dernières années, on constate une plus grande proportion de femmes en production.

« Je pense que c’est un métier qui sied bien aux femmes, car on est souvent organisées et méticuleuses, ce qui ne veut pas dire que ce sont des qualités que des hommes ne peuvent pas détenir. On représente aussi des humains. On a un côté très maternel et sensible, si je généralise. Je pense que ce sont des qualités qui se retrouvent chez bien des femmes et des productrices », mentionne Geneviève.

France-Aimy, qui a fondé sa maison de production il y a près de 7 ans, corrobore. « En prod, il faut une belle sensibilité au niveau de la gestion des réalisateurs. On est un peu leur maman, si on veut. On porte plusieurs chapeaux, et je crois que la sensibilité des femmes aide à gérer autant d’humains. » En revanche, comme la fondatrice de Romeo & Fils est relativement « nouvelle » dans le domaine, elle n’a pas connu le « avant » dont parlent ses paires. Elle estime qu’elle est arrivée au « bon
moment ». 

« C’est plutôt rassurant pour l’avenir de voir ce beau changement. Ça permet de croire en l’égalité », révèle Véronique.    

Réalisatrices versus réalisateurs 

Le nerf de la guerre, c’est la proportion de femmes versus les hommes en réalisation, selon Nick, qui estime qu’il y a encore beaucoup de chemin à faire. La présidente affirme que c’est l’une des valeurs profondément ancrées au sein de la maison de production. Déjà, il y a 30 ans, Cinélande comptait des femmes réalisatrices au sein de son équipe. « On a fait des démarches auprès des annonceurs il y a 10 ans pour demander à ce que les femmes pitchent afin de se faire connaître. On commence tranquillement à récolter le fruit du travail, mais on est loin, loin, loin de la parité », ponctue-t-elle.      

Même son de cloche pour Geneviève. « Sommes-nous sur la bonne voie en matière de parité ? Non. Y a-t-il beaucoup de chemin à faire ? Énormément. » La productrice exécutive et présidente de SOMA croit que c’est un milieu « hyper macho ».
« Si le contexte est féminin, on va faire appel aux femmes, sinon c’est vraiment rare », dit-elle, faisant allusion aux publicités de tampon ou encore aux publicités pour représenter une athlète féminine, où on requérait une femme à la réalisation. « Même chose pour les hommes », continue-t-elle. Ce n’est pas parce que tu es un homme que tu ne peux pas en parler [publicité sur les tampons]. » Elle trouve qu’on se concentre malheureusement trop sur le sexe du réalisateur ou de la réalisatrice, alors qu’on devrait focaliser sur le ton et le style de réalisation.

« L’enjeu, c’est qu’on achète souvent ce que l’on connaît, et nos réalisatrices ne sont pas suffisamment connues », se désole Nick

La présidente de Les Enfants croit aussi qu’il y a « énormément » de chemin à faire. « Il faut regarder le nombre de job réalisé par les femmes versus les hommes dans l’ensemble de la province », dit Céline. Elle suggère de jeter un œil à l’excellent documentaire This Changes Everything, réalisé par Tom Donahue, qui se penche sur le sexisme systémique dans l’industrie hollywoodienne, faisant obstacle à la parité.

« La profession de réalisateurs est encore majoritairement composée d’hommes », dit Véronique. Pour preuve ? Sur 10 réalisateurs, Gorditos représente une seule réalisatrice, Monia Chokri. Chez SOMA, sur 13 réalisateurs, 3 sont des femmes : Anne Émond, Mariloup Wolfe et Sarah Pellerin. Chez Les Enfants, 2 réalisatrices sur 12 sont des femmes : Louise Archambault et Catherine Therrien. Véronique croit toutefois que l’envie de donner plus de chances aux femmes, toutes professions confondues, est tangible. « Je pense aux initiatives Femmes en Créa ici au Québec et Free the bid à l’international entre autres. Je suis confiante que cet écart diminuera avec le temps, car c’est avant tout le talent qui compte, surtout dans des métiers comme les nôtres. »  

Céline croit aussi que l’organisme Free the bid, qui encourage les agences de publicité et les clients à solliciter les femmes à pitcher lors des soumissions, « donne au moins la chance aux femmes de présenter leur travail et leur vision ». 

Chez Groupe Cinélande, qui englobe ALT, 4ZERO1 et Sud-Ouest, il y a 8 femmes qui sont représentées : Mélanie Charbonneau, Zoé Pelchat, Marie-Julie Dallaire, Tara Johns, Édith Jorisch, Chloé Robichaud, Juliette Gosselin et Charlotte Ratel. Pour Nick, c’est une chose de représenter des femmes, c’en est une autre de les faire décrocher des mandats – un défi de taille. Selon elle, il faut agir en trois mouvements. « À l’interne, on appelle ça ACT. A pour accéder aux mandats : il faut s’assurer que les réalisatrices mettent la main sur des projets diversifiés et stimulants, qu’elles aient accès aux meilleurs boards. C’est notre travail, en maison de production, de bien les représenter. C, c’est pour convaincre : ces femmes réalisatrices sont en mesure de faire tout type de concept et non pas des concepts destinés juste aux femmes. Mais les mentalités changent trop tranquillement. T, c’est pour transformer : le mandat de nos réalisatrices est de transformer le modèle que nous avons du réal pour le définir de façon non genrée. On les accompagne, on les épaule et on agit comme mentor. Ce que je trouve intéressant, c’est qu’elles se mentorent les unes les autres pour s’assurer qu’on approche de plus en plus de la parité de génération en génération. »

Chez Romeo & Fils, bien que la majorité des réalisateurs soient des hommes, France-Aimy se considère chanceuse et choyée par le respect et la relation d’égalité qu’ils éprouvent les uns pour les autres. Fait à noter, la jeune réalisatrice Cynthia Carazato, représentée par la boîte, avait adopté une version abrégée de son nom de famille au commencement de sa profession pour ne pas que l’on sache si c’était un homme ou une femme derrière la caméra. Un simple surnom suffisait : Caraz. France-Aimy présume que l’ouverture est présente pour les femmes en réalisation. « Je crois qu’il y a d’excellentes réalisatrices qui shinent au Québec, tant en publicité qu’en film ». La fondatrice de Romeo & Fils croit que cela incitera les femmes à s’aventurer dans cet univers. « Je n’ai jamais senti que les femmes étaient moins à l’aise de me contacter pour que je les rencontre ou que je regarde leur démo. Elles ne sont pas gênées, elles percent et foncent. »

Par ailleurs, Romeo & Fils vient tout juste de signer un nouveau duo de réalisatrices, Patricia Lanoie et Jeanne Joly, du studio Bien à vous. France-Aimy affirme que ce coup de cœur créatif sera annoncé plus notoirement en 2020. 

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Crédit photo : Gaëlle Leroyer   

Coup de pouce pour la relève

Quels conseils prodigueraient ces productrices à la relève féminine qui veulent s’aventurer en réalisation ? C’est unanime, elles pensent que c’est un métier qui ne devrait pas être genré.  « Nous, on voit un travail de réalisatrices ou de réalisateurs. Je ne vois aucune différence entre les hommes et les femmes », relate Geneviève. France-Aimy ne voit pas la dissemblance non plus. « Que ce soit un homme ou une femme, je reçois un démo. » Elle recommande à la relève de faire des projets créatifs et regarder ce qui se fait dans le milieu, puisqu’elle estime que « c’est la base ».    

« Je donnerais le même conseil aux garçons qu’aux filles pour que ce soit non genré. (RIRES) Trouver les gens qui les inspirent, avec qui ils ou elles veulent travailler et rencontrer. Saisir toutes les occasions lorsqu’elles se présentent, car elles existent : il faut juste les saisir », mentionne Nick.  

Céline croit, pour toute personne qui commence dans ce milieu, qu’il nécessite de la persévérance et qu’il faut rester intègre à sa vision et à sa création, et de ne pas se laisser impressionner. Enfin, Véronique conseille aux jeunes femmes et aux jeunes hommes qui espèrent percer en production de mettre toute leur rigueur et leur cœur.

« Le seul conseil que j’ai à donner s’adresse plutôt aux agences pour qu’elles aient une plus grande ouverture d’esprit par rapport à la réalisation de leur concept », mentionne Geneviève. Céline et elle-même ont toutes deux cité Lynda Zuliani, cliente chez Loto-Québec, qui exigeait à l’époque qu’il y ait au moins une femme sur trois soumissionnaires. « Ça a aidé à ouvrir des horizons. Des femmes comme Marie-Julie Dallaire et Mélanie Charbonneau ont pu se bâtir une carrière en publicité grâce à ça. Mais je ne sais pas à quel point les teams de création font cet exercice si ce n’est pas exigé par le client », dit Geneviève.  

Il est vrai que nous sommes malencontreusement bien loin de la parité. L’ouverture est toutefois présente et un espoir plus que propice souffle pour les plus jeunes générations. « Je suis confiante que ça va continuer d’évoluer dans d’autres domaines aussi, et devenir une normalité », termine Véronique.

Nick Jolicoeur
Nick Jolicoeur

France-Aimy Tremblay
France-Aimy Tremblay

Genevieve Cabana-Proulx
Genevieve Cabana-Proulx

 Véronique Poulin
Véronique Poulin