Pointe de conversation avec Daniel Poirier, directeur de création, directeur artistique et artiste-peintre autodidacte qui a tenté de combler son Gap en peignant une toile par jour pendant 365 jours.

Daniel Poirier

Le Gap, c’est cette théorie du geste créatif élaborée par le producteur/animateur/écrivain/bédéiste Ira Glass voulant qu’il existe un écart entre notre idéal créatif et nos capacités actuelles. Vous trouverez une vidéo expliquant le principe juste ici. Allez voir, c’est pas long. Je vous attends.

La prémisse est la suivante : dans les milieux créatifs, tout le monde a du goût. On sait tous distinguer une belle œuvre d’une autre qui l’est moins. Un bon concept d’un autre qui l’est moins. Mais lorsque l’on entame sa carrière et que l’on compare ce « beau » et ce « bon » à ce que l’on fait, il existe un écart.

On fait de son mieux, mais le résultat n’est pas à notre goût. De guerre lasse, certains finissent par abandonner. Alors que le fun commençait à peine.

Car la morale du Gap, c’est que cette douloureuse étape est normale ; donnez-vous une chance, vous commencez ! Pour créer des œuvres à la hauteur de votre goût, il n’y a pas de recette magique. Il suffit de travailler. Vous voulez être écrivain ? Écrivez. Tous les jours. Vous voulez être peintre ? Peignez. Tous les jours.

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Jour 352 – Huile et oil sticks sur papier 18x24

C’est en forgeant qu’on devient forgeron !

On s’entend, la recette n’est pas nouvelle. Toutes les cultures du monde ont leur proverbe qui nous rappelle que l’expérience, ça s’acquiert. Dans Outliers, Malcom Gladwell parle même d’un bon 10 000 heures pour devenir expert dans un domaine.

Or dans notre monde de l’instantané, on s’autoproclame trop facilement expert. Fake it ’til you make it, nous disait un directeur de création exécutif récupéré du fin fond de l’Ouest américain et dont la carrière québécoise se termina au bout d’un an. Didn’t make it. He didn't walk the talk comme disent les Chinois.

Donc, trois voies en créativité :

1. On se décourage avant d’avoir réellement essayé.

2. On simule jusqu’à ce que l’entourage ne soit plus dupe — et on retourne en Utah.

3. On relève ses manches et on met de l’huile de coude dans son travail. Ou dans le cas de Daniel, de la peinture à l’huile !

« J’ai commencé à peindre à 20 ans, avant même de travailler en pub. Je faisais ça pour mon plaisir, me raconte Daniel. Puis un jour, une galerie faisant une exposition intitulée Les DAs s’exposent, j’ai amené mes toiles. Ayant adoré l’expérience, j’ai été voir le proprio de la galerie pour lui dire que j’aimerais bien faire une exposition solo ».

Celui-ci, regardant l’œuvre éclectique de Daniel, lui suggère de se concentrer sur un style précis. Parmi les œuvres de Daniel, des têtes. « J’ai fait une première exposition. Par la suite, je suis passé des têtes aux corps. Et éventuellement, je me suis concentré sur l’abstrait ».

Lâcher-prise, un geste qui n’a rien d’abstrait

« En publicité, on travaille avec des contraintes. Tout est pensé, tout est précis. Le choix de typo, les titres. L’art abstrait me permettait de me laisser aller complètement. Quand j’ai vu le vidéo de Glass, j’ai décidé de foncer. »

Et il annonce son #365daychallenge sur les médias sociaux. « Pas pour flasher, insiste Daniel, pour me commettre. En annonçant publiquement ce défi personnel, ça me forçait à persévérer. »

« Au bout de trois semaines, je voyais déjà une amélioration. Mais au bout de trois mois, ce que je considérais comme pas mal après trois semaines me semblait déjà pas mal moins bon ! »

Tiens, tiens. Le Gap évoluerait donc avec nous. Serions-nous condamnés à voir notre idéal créatif s’éloigner constamment ? Rêver l’inaccessible rêve, chantait l’autre.

« Tu sais, tu peux devenir un ex-publicitaire, mais tu ne peux jamais devenir un ex-peintre. Tu peux travailler sur ton art toute ta vie et ne jamais aboutir. Pis c’est correct parce qu’au fond, c’est la quête qui compte. Ça a l’air philosophique ce que je dis, mais dans les faits, tant que tu peins, t’es un peintre. »

Une fois franchie la ligne d’arrivée du #365daychallenge, on fait quoi ? « Le 12 mai, j’ai affiché ma dernière toile sur les médias sociaux, mais moi, je n’ai jamais arrêté. Chaque toile m’amène à un nouvel endroit. J’adore voir l’évolution de ma réflexion sans pourtant savoir où je m’en vais. »

Doutes-tu ? « Le doute sera toujours là. Serai-je fier de ce que je fais dans deux-trois ans ? Je ne sais pas. »

Glass et Gladwell n’offrent pas de réponse à ce sujet. Mais ils savent que la meilleure façon de faire taire le doute qui nous paralyse, c’est d’avancer.

Quand on avance, on ne recule pas.

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