Quand on demande aux artisans de la télévision si le cord-cutting affecte la demande de main-d’œuvre dans le milieu, les réponses sont ambivalentes. Le fait est que même si plusieurs abonnés se débranchent du câble, l’engouement pour le streaming, les contenus en ligne, la télévision sur demande, etc. croît. D’ailleurs, les grandes chaînes généralistes et spécialisées rivalisent de créativité pour produire davantage de séries afin de rester dans le coup. Or, qui dit plus de production, dit plus de travail. Le hic : les enveloppes budgétaires s’amincissent. 

Action… réaction !
Renée Gosselin
, directrice de production à la pige, a connu les belles années : « Il y a 25 ans, quand j’ai commencé à travailler dans le domaine de la télévision, je me souviens à quel point les budgets alloués aux projets étaient importants. C’était donc plus facile d’arriver à des résultats convaincants. Aujourd’hui, pas de doute, on réussit à faire de très belles choses, mais tout ça en cherchant continuellement des solutions pour y arriver parce que le contexte n’est pas optimal ». La question des conséquences du cord-cutting sur les artisans de la télévision se pose donc assurément autrement : comment le phénomène du débranchement a-t-il changé leur façon de travailler ? Marie-Ève Boisvert, productrice développement et contenu chez Trinome & filles, voit le changement d’un bon œil : « La télévision évolue et nous n’avons pas le choix de suivre le pas. Les nouvelles tendances de consommation nous poussent à nous dépasser et à faire encore plus preuve de créativité, ce qui est plutôt positif. Le cord-cutting ne m’inquiète pas vraiment, j’ai autant de travail qu’avant. Jean Kavanagh, directeur photo indépendant, met son talent au profit de plusieurs plateaux de tournage, notamment de téléromans populaires : « Le cord-cutting est un débat qui est très d’actualité dans le milieu et honnêtement, c’est difficile de faire une évaluation exhaustive. Personnellement, je dirais que le phénomène affecte beaucoup les budgets qui ne cessent de diminuer. Mais, on s’adapte et on fait face au défi de devoir varier les formats de nos contenus. Puis, les nouvelles habitudes et la compétition qu’elles engendrent font que la quantité de séries télévisées ne diminue pas. Je serais même curieux de savoir si la production n’a pas augmenté ».

L’argent, toujours l’argent
Pendant que les uns se réjouissent de ne pas manquer de travail, Renée parle de perte de vitesse par rapport aux emplois : « Il y a beaucoup moins d’offres, mais je crois qu’elles sont avant tout le résultat de la baisse du financement et non du débranchement. L’enveloppe est réduite, les équipes aussi et les nouvelles façons de faire requièrent moins de monde. Et, actuellement, le bassin de techniciens et autres professionnels du domaine est grand ». Au cours des dernières années, Montréal a accueilli un nombre impressionnant de productions américaines qui ont permis à beaucoup de gens de faire leur place dans le milieu et de prendre de l’expérience. Ces plateaux de tournage favorisent l’embauche ponctuellement, mais ont l’effet contraire une fois terminés. La série télévisée, le film québécois et le cinéma américain sont aux antipodes, mais il n’en demeure pas moins que toutes catégories confondues, le problème demeure le même : dans un creux de vague, plus de gens cherchent du travail qu’auparavant, parce que plus de gens ont accédé au marché. Et, quand une production est lancée, on appelle moins de candidats. « À l’époque, les équipes étaient composées de quatre techniciens tandis que maintenant nous éclairons moins, puisque nous manquons de temps, et réduisons les équipes à deux techniciens par département », ajoute Renée.

La qualité est-elle un obstacle au bas prix ?
Les artisans du domaine de la télévision sont à trouver des solutions différentes pour rendre un produit de qualité avec les moyens qu’on leur donne. Ça va de soi, certains scénarios sont beaucoup moins peaufinés compte tenu de la diminution du financement, qui, de surcroît, est souvent accordé à la dernière minute. Renée explique: « Avec les budgets actuels, on se retrouve à tourner des scénarios dans deux ou trois lieux, sans plus. Malgré cela, j’ai toujours maintenu que c’est la base du scénario qui fait que l’œuvre est bonne ou pas. Pensons à District 31 et Unité 9 qui attirent quotidiennement et hebdomadairement des centaines de milliers de téléspectateurs. Par contre, il apparaît techniquement évident que certaines productions présentes dans la grille horaire manquent cruellement d’argent ».

En somme, à la lumière de ce discours nuancé, on ne peut pas prétendre que le cord-cutting fait du tort aux artisans de la télévision. Par contre, les diminutions de budget les contraignent, un peu trop souvent, à étirer la sauce. Malgré cela, levons-leur notre chapeau, car chez nous, il se fait d’excellentes productions.