Pôvre télémission dirait Sol. De moins en moins de gens regardent la télévision. Pourtant. Alors que les ventes publicitaires devraient péricliter, c’est tout le contraire qui se produit. Non seulement l’inventaire se vend-il très rapidement merci, mais les coûts grimpent à des hauteurs vertigineuses, sans précédent. Esstraaardinaire, vous dites ? Pas tant.

Côté média, j’ai une règle de base. Dans le doute, ou dans l’incompréhension, demande à Karine Courtemanche. Après tout, elle est la présidente de Touché !, l’une des 10 meilleures agences média au monde, selon le WARC Media 100 et la deuxième agence la plus récompensée au monde. Si quelqu’un peut m’éclairer sur cet étrange phénomène de popularité décroissante finlement très payant, c’est bien elle.

Karine Courtemanche
Karine Courtemanche, présidente, Touché !

« La télévision est en effet sold out. Et on vit une hyper inflation comme je n’ai jamais vu durant toute ma carrière », attaque d’emblée Karine. La raison de cette frénésie est simple: la scarcity diraient les Chinois. La rareté d’inventaire.

« Comme la télévision rejoint moins de monde, les annonceurs ont besoin d’acheter plus de spots pour générer le même nombre de PEBs. » Or le temps d’antenne publicitaire est contingenté. C’est le CRTC qui le régit. Les occasions n’étant pas illimitées, c’est au plus fort la poche. Ou plutôt au plus vite.

Car c’est maintenant payant d’être vite. Pour les planificateurs média, « août, c’est la saison de la chasse, explique Karine. Comme les stations fonctionnent maintenant avec des grilles évolutives, si tu n’achètes pas durant les premières semaines, les coûts vont augmenter. » Résultat, les annonceurs voulant éviter l’augmentation, l’inventaire se vend beaucoup plus tôt.

Et le phénomène n’est pas que télévisuel. La radio vit la même tendance. Les gens l’écoutent moins, mais l’inventaire est plus rare et se vend à prix d’or. « Comme tu rejoins moins de monde au quart d’heure, tu as besoin ici aussi de plus d’occasions pour aller chercher le même poids média ».

Pas bêtes, ces diffuseurs. Ils compensent la perte d’auditoire par une augmentation des coûts. Netflix et Spotify auraient-ils été créés par TVA et Énergie afin de doper la valeur de leurs occasions ? Je décide de garder pour moi mes réflexions paranoïaques et je laisse notre chère Karine continuer.

« L’impact que ce phénomène apporte est que les annonceurs s’étant commis à l’avance, ils n’ont plus d’argent pour les opportunités de dernière minute. Je me disais l’autre jour que ça faisait longtemps que les Canadiens de Montréal n’avaient pas été en séries. Mais tu sais quoi ? Malgré les récentes doléances de PKP, je ne suis pas sûr que ça serait si bien vendu que ça. Je suis convaincue qu’il y a moins d’argent dans le marché. »

On fait quoi alors ? « Ça veut dire que si tu as un budget “dernière minute”, ce n’est pas nécessairement en télé ou en radio que tu vas aller. On va évidemment essayer, mais... De toute façon, on voit de moins en moins de plans monomédia où la dominance télé était l’objectif numéro 1 de toute campagne », remarque-t-elle.

Les agences média deviennent-elles des cord-cutters elles aussi ?  «Notre travail ressemble de plus en plus à celui d’un gestionnaire de portfolios équilibrés. Mais il faut croire qu’on investit encore assez pour que les stations soient sold-out. »

Mais le numérique a changé la donne.

Mieux que la télé ou la radio, il permet « de suivre le consommateur dans son parcours et d’avoir plus d’information sur lui. Avant, on était plus gambler, se rappelle Karine. On se disait que notre consommateur allait finir par écouter la télévision à un moment donné. Oui, il y a maintenant moins d’endroits de rendez-vous communs, mais le consommateur d’aujourd’hui laisse une trace plus grande que les générations de consommateurs précédents. Ça permet à l’annonceur de prendre des décisions bien plus éclairées. »

Cet exode télévisuel fera-t-il grimper le coût du PEB jusqu’à des niveaux stellaires ? « J’espère que l’inflation va arrêter. Mais tu le sais, on vit dans un monde où tout bouge vite. » La réalité des diffuseurs, des câblodistributeurs et même que celle des diffuseurs de films ou de séries en ligne risque de changer encore.

« Prends l’offre de streaming. Dans six mois, l’arrivée d’Apple et de Disney va changer le paysage tel qu’on le connait présentement. »

La fin de la télé, alors? « La télévision vit son Golden Age. Des séries comme Games of Thrones génèrent des auditoires jamais vus auparavant. Le problème n’est pas le contenu ou le format, mais la patente entre le contenu et l’auditoire. Les gens recherchent un accès plus direct au contenu.»

Et toi, Karine. Présidente d’une agence média, tu es encore abonnée au câble? « Oui, je le suis. Mais pas à cause de mon boulot. J’ai encore mes émissions que j’aime regarder chaque semaine. »

Dans les dents, les cord-cutters.

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