Discussion sur le pitch (et réflexion sur l’importance d’ébranler les certitudes) en compagnie de Dominique Trudeau.                                             

Quelques semaines avant les Fêtes, un pavé, un gros, était catapulté dans notre marre publicitaire. Intitulé « Nous disons non aux pitchs », le manifeste de Dominique Trudeau, président et directeur de création de l’entreprise Couleur locale, prenait une franche position contre la pratique des pitchs dans l’industrie québécoise. Une véritable petite bombe à laquelle plus de 80 cosignataires sont venus apposer leur signature. « Le pitch est un héritage que nous avons trop peu, voire jamais questionné, affirme Dominique Trudeau d’entrée de jeu. Le but de ce manifeste était d’abord d’ouvrir la discussion quant à la nécessité d’entretenir cette pratique dans notre milieu. Pour de petites boîtes, l’obligation de pitcher est une véritable plaie qui demande un investissement de temps et d’argent important. Cette façon de faire est tout simplement révolue : il est donc temps de cesser cette pratique et de donner une chance aux plus petits joueurs créatifs de survivre dans le milieu. »

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QUESTION D’INVESTISSEMENT

Lorsqu’on lui demande de vulgariser la problématique, Dominique Trudeau y va d’images on ne peut plus claires. « Imaginons que je fais face à un litige juridique, dit-il. Est-ce qu’il serait normal pour moi de faire pitcher trois firmes d’avocats pour décider laquelle je choisirai pour me représenter ? De demander à trois spécialistes du légal de me rédiger chacun un plaidoyer, avec toute la recherche et la rédaction que ça commande, pour me convaincre de choisir leur boîte ? Ou encore de demander à trois dentistes de m’élaborer un plan d’intervention complet pour savoir lequel effectuera mon traitement de canal ? Si vous trouvez que ça n’a aucun sens, dites-vous que ça n’en a guère plus pour la profession de publicitaire. Les pitchs créatifs qui commandent d’élaborer une campagne presque clé en main ne laissent pratiquement aucune chance aux petits joueurs. Remporter un pitch revêt quelque chose d’héroïque en soi tellement la charge de travail est intense. De plus, le pitch créatif (ou non) sur lequel tu as travaillé 70 heures (et souvent bien plus !) peut être génial, mais celui de ton concurrent pourrait aussi plaire aux clients. Ce sont des énergies mal investies. Pour cette raison, nous disons désormais non aux pitchs. »

DES HISTOIRES DE PITCHS

Un crédo contagieux à voir l’appui qu’a obtenu Dominique Trudeau. « Je savais que plusieurs gens du milieu partageaient mon point de vue, confirme-t-il. Je n’ai eu aucune difficulté à obtenir des cosignataires. Dans le lot, plusieurs m’ont personnellement contacté pour me raconter leurs « histoires de pitchs ». Il y en avait de toutes sortes, certaines beaucoup moins jolies que d’autres, comme celles où des clients demandent des pitchs pour des contrats de moins de mille dollars. Ou encore celle ou le gagnant avait soumissionné à un taux horaire franchement dérisoire. C’est insensé ! Disons que me suis plu à jouer au psychologue avec mes pairs l’instant de quelques conversations. Les professionnels en ont marre de se saigner à blanc en se faisant mettre en compétition pour tenter de remporter un contrat. » Mais qu’en est-il des gros joueurs ? « Vous aurez constaté qu’aucun d’eux (ou de leurs employés) n’a apposé sa signature au bas du manifeste, note-t-il. Et je ne m’en offusque pas du tout, car je sais que les grosses boîtes ont, quant à elle, la capacité de répondre aux pitchs. Elles ont l’infrastructure pour le faire et n’ont donc pas nécessairement intérêt à remuer la vase au fond du ruisseau. Même si parfois elles en souffrent, autant humainement qu’économiquement. »

FAIRE AUTREMENT

Et quel est le message de Dominique Trudeau aux fournisseurs de contrats, petits et grands ? « Soyez curieux, soyez imaginatifs et sortez du moule, dit-il. Allez voir les réalisations des créatifs dont on vous parle en bien. Faites confiance aux noms qu’on vous transmet et rencontrez-les pour valider certaines choses. Pas besoin de pitchs de mettre des agences en compétition pour ça. Demandez de l’aide à vos associations. Donnez une chance à des jeunes qui ont le couteau entre les dents et qui se sont monté un portfolio de fou. Mais surtout : faites des choix, prenez des décisions, et assumez-les. » Et est-ce que Couleur locale pitchera en 2019 ? « Haha ! Non !, rigole Dominique Trudeau. Du moins, nous ne pitcherons pas à des entreprises privées - car il faut comprendre qu’il en va autrement pour les organismes qui gèrent l’argent public. Pour ceux-ci, les pitchs sont obligatoires, mais il s’agit de l’exception à la règle. Autrement, je suis bien conscient que la pratique ne disparaitra pas du jour au lendemain. Et ce n’était pas le but du manifeste. Je suis en ce moment très heureux que le débat ait lieu. Continuons à questionner le système en place et d’ébranler les certitudes. Pour que les choses bougent, pour qu’elles avancent, il faut commencer par en parler. »

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