Dans le contexte, il y a lieu de se demander si la valeur d’une idée s’évalue vraiment en temps. La feuille de temps devrait-elle être remplacée par un autre moyen de paiement ? La réponse semble se situer dans une zone grise. Parce qu’une idée n’est pas un produit que l’on achète comme du savon à lessive, est-il possible d’établir un système d’honoraires publicitaires qui lave plus blanc que blanc ?  

Jean-François Mallette

La valeur de l’expérience

Un jour, un individu a commandé un croquis à Picasso. En moins de 15 minutes, le peintre a produit une pièce impressionnante et réclamé un montant mirobolant pour son travail. Surpris, ledit individu a demandé à l’artiste de justifier la somme, lequel a évoqué la précision de sa technique acquise au cours de ses 40 années de travail. La morale de cette histoire ? Le temps, ce n’est pas de l’argent. Quoi que, dans ce cas-ci, oui, mais Jean-François Mallette, v.-p. exécutif, chef de la direction chez DDB, croit plutôt que la création n’est pas vraiment une valeur qui se calcule en heure : « Je me souviens de cet entrepreneur qui a reçu d’un ami un conseil salvateur pour son entreprise et en échange duquel il a payé 150 000 $. Pour une idée lancée sur un bout de papier devant un café, l’entrepreneur trouvait que ça revenait cher la consultation ! ». Pourtant, c’est d’une grande ingéniosité créative portée par une longue expertise dont l’entrepreneur a bénéficié. C’est une réflexion qui peut se ramener à l’industrie de la publicité, notamment parce qu’une idée proposée à un client va bien au-delà de l’heure ou des heures passées à en discuter. Sa valeur se justifie par tout le background des équipes en place », relate Jean-François.

Bye bye feuille de temps ?

Dans un monde idéal, une idée ne serait pas automatiquement attachée à un nombre d’heures, sinon à une valeur monétaire. Mais laquelle ? « On peut précisément attribuer un pourcentage de profit au savon Tide, par exemple, puisqu’il est fabriqué sur une chaîne de montage. À l’inverse, une idée ne prend jamais le même chemin, exige rarement le même nombre de temps et d’effectifs autour de la table », précise Jean-François. Peut-on demander à une personne de trouver une idée en deux heures ? Pas vraiment, car encapsuler une idée dans le temps est une erreur. Alors, quelle serait l’option pour remplacer la feuille de temps ? « Je crois que la base de la problématique se situe au niveau de la divergence de perception. Inconsciemment, plusieurs personnes perçoivent la création comme de l’exécution et demandent des livrables en temps. Contrairement aux tâches exécutées par un comptable ou un avocat, l’idéation est difficile à évaluer », poursuit Jean-François. Changer la perception du marché sur la valeur des choses et particulièrement sur la valeur ajoutée serait donc la solution. Sachant que les mentalités ont la couenne dure, la feuille de temps n’est sans doute pas prête à être reléguée aux poubelles.  

Just change it

Les blocs d’heures seraient-ils une solution au tarif à l’heure ? Et si l’industrie vendait ses idées créatives comme s’il s’agissait d’un produit ? Imaginons qu’une agence fixe le prix d’un message radio à l’équivalent de 10 heures de travail, peu importe le temps qu’elle y consacre. Jean-François répond : « Le domaine de la publicité pourrait se donner des airs de commerce de détail, mais je pense que cela dénaturerait le travail d’idéation ». Le coût d’un message est très relatif, car l’idée qui l’a fait naître est tributaire de l’ensemble de la démarche, soit avoir les bonnes questions au bon moment pour impliquer les bonnes personnes bien alignées avec les objectifs au bon moment et de la bonne façon. Il suffit de penser au positionnement des slogans qui ont marqué notre imaginaire de consommateur. Le premier qui nous vient en tête est celui de Nike : « Si le principe de la valeur d’une idée avait été appliqué ou qui sait, s’il l’a été, combien cela a-t-il rapporté aux artisans ? S’il a été acquis pour la somme de deux heures de travail, Just do it est probablement le meilleur investissement publicitaire de tous les temps. Est-ce que cette idée vaut un nombre d’heures et de dollars ? Difficile d’arriver avec une réponse rationnelle, même si tout le monde y aspire, conclut Jean-François.

En somme, il y a encore matière à réflexion avant d’arriver à un résultat concluant en ce qui a trait à la facturation dans le domaine de la publicité. Parfois, une idée émerge en un éclair et d’autres, au bout d’une très longue démarche. Auquel cas, disons que c’est un peu plus cher, mais c’est plus que du bonbon…