Si les voies du design graphique sont loin d’être impénétrables (dixit le premier épisode de notre podcast À nos marques), il serait maintenant à se demander si le Québec possède un design, voire une esthétique, qui lui est propre. Une question légitime s’il en est une à laquelle nous devons tout d’abord apposer la prémisse interrogative : le design est-il un concept culturel ? À cette question, la réponse de Benoit Giguère, Vice-président, création et contenu chez BrandBourg Marketing & Design, et Président de la Société des designers graphiques du Québec, ne laisse place à aucune équivoque. « Je le crois absolument, tranche-t-il. Non seulement des analyses sur le sujet nous montrent-elles qu’il existe un design spécifique à des régions du monde comme l’Amérique du Sud, l’Asie ou autres, mais qu’il existe aussi bel et bien un design bien québécois. Les peuples se définissent par ce qui les entoure (le design fait partie de nos vies sept jours sur sept) et les créations sont tributaires des artistes qui les conçoivent. Le design est donc effectivement culturel, comme le sont différentes formes d’art. »

benoit giguère

Benoit Giguère

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Marie-Pierre Morin

RÉSEAUX SOCIAUX ET HOMOGÉNÉITÉ

Marie-Pierre Morin, designer graphique indépendante, apporte quant à elle une intéressante nuance. « M’est aussi d’avis que le design est fondamentalement culturel, affirme-t-elle. C’est toute là sa beauté. Cela dit, il existe aussi certaines tendances que nous pouvons observer par-delà les frontières : des courants marquants qui naissent quelque part et qui aboutissent dans un autre continent. Ce sont des phénomènes qui existent depuis toujours, mais que les médias sociaux et les nouvelles technologies sont venus exacerber. La démocratisation des outils, par exemple, a permis à toutes sortes de tendances de se répandre comme une traînée de poudre d’un pays à l’autre de la planète : certains éléments de graphisme, comme des polices de caractères, par exemple, utilisés et réutilisés à profusion ont parfois réussi à créer de l’homogénéité dans certains types de designs plus consensuels, moins recherchés, moins intéressants. D’où l’importance d’affirmer que le design, le vrai, en est un qui est forcément culturel. »

CODES QUÉBÉCOIS

Et comment s’expriment-ils, les codes du design québécois ? « Ça ne se voit pas nécessairement pas dans des formes précises, soutient Benoit Giguère, ce n’est pas qu’une question de couleurs ou de géométrie. Personnellement, je dirais que le design québécois s’exprime souvent à travers des valeurs comme l’ouverture, l’humilité, la simplicité. Et à travers l’humour aussi. Beaucoup à travers l’humour. Et comme pour les autres cultures, nous nous définissons comme identité à travers nos logos, à travers le visuel de nos marques. C’est une question de codes. Prenons l’exemple des couleurs rouge et bleu qui, au Québec, sont chargées de deux messages bien distincts alors que nous associons au fédéralisme au nationalisme. Le design communique des messages, il nous parle. Lorsque Desjardins a changé son logo, ça a créé vraiment toutes sortes de réactions. En enlevant l’auréole, certains ont cru que la caisse laissait tomber sa collectivité. Est-ce vraiment le message qu’on souhaitait envoyer ? Je ne sais pas, mais ça démontre à quel point nous sommes réactifs au design.

DESIGN LOCAL

Si le design québécois existe, donc, pourrions-nous aussi penser que différents micros designs puissent exister d’une région à l’autre de la Belle Province ? « Je suis convaincu que si l’on menait une vaste étude, mentionne Benoit Giguère, et que l’on étudiait un grand échantillon de designs québécois, nous serions en mesure de définir qu’un tel vient de Gaspé et qu’un autre vient de Québec. Il m’apparaît évident que les codes identitaires sont différents d’un coin à l’autre de la province. » Marie-Pierre Morin opine et ajoute : « Mais pour une raison de densité de population, le design en région québécoise est peut-être un peu plus frileux, dit-elle. Ou plutôt dirais-je qu’il a moins besoin de miser sur l’audace. Un théâtre de Montréal qui lance sa nouvelle saison doit à tout prix se démarquer dans sa facture visuelle, car il est en compétition avec une pléthore d’autres institutions. À Rimouski, ça va de soi, il y en a moins. Mais audace ne rime pas nécessairement avec beauté. En fait, le design lui-même ne rime pas avec « beauté ». Le design veut plutôt accrocher l’œil. À mon avis, chercher le beau à tout prix, c’est chercher quelque chose de plate. »