Toutes les pubs de produits de beauté sont axées sur ce Saint Graal du 21e siècle qu’est la jeunesse éternelle. En se départissant de leurs éléments les plus âgés en faveur d’une relève plus jeune, les agences en auraient-elles créé la version ultime, le jeunisme ?  

jeunisme

Personne n’en parle, mais il est partout. Jour après jour, ses victimes s’effacent subrepticement du paysage publicitaire. Un remerciement, comme on dit. Parfois un package, de quoi subsister quelques mois. Trop souvent, une simple tape dans le dos. Ciao, bye.

Le phénomène serait en croissance. «  Au cours des deux dernières années, on a vu un nouveau groupe apparaitre dans nos chiffres : les 50 ans et plus , explique Valérie Charest du BEC. Cette strate représente maintenant 25 % des appels que nous recevons ! »

«  On voit même des gens de quarante, quarante-cinq ans, confie-t-elle.  Je connais une personne de 45 ans qui peine à se trouver un nouvel emploi , renchérit une chasseuse de têtes.   C’est pas normal. À cet âge, tu devrais être au pic de ta
carrière.  »

«  Les gens qui nous consultent sont dévastés , explique Valérie.  Ça te détruit de te faire flusher. Tu te dévalorises. Que dire de l’isolement qui s’en suit ?  » 

Voilà deux ans, le NABS (l’équivalent restofcanadien du BEC) a lancé le programme RIPE. Créé par la coach de vie Julia Moulden, ce programme permet à des personnes ayant perdu leur emploi de dépersonnaliser cette impression fallacieuse d’être les seuls à vivre cette situation.

«  On travaille à implanter ce programme au Québec, en français. Nous avons effectué un programme-pilote au mois de mai. Les commentaires des participants furent unanimement positifs.  » Dixit un des participants, « ça m’a boosté la confiance que j’avais perdue pour me donner un coup de pied aux fesses  ».

Spontanément, lorsqu’on pense jeunisme en pub, on pense à la création. Qui ne se rappelle pas du célèbre «  à 40 ans, un créatif, ça ne peut plus cerner l’air du temps  » du patron de la création d’une grosse agence montréalaise ? Mais il n’est pas que son lot.

D’autres services sont touchés. «  Notamment ceux affectés par la technologie, dont le média et la production, nous a confié notre chasseuse de têtes. Ce n’est pas tout le monde qui peut ou veut se tenir à jour dans cet univers en constante évolution.  »

Par ailleurs, le difficile contexte économique a forcé plusieurs agences à se restructurer. Ou du moins, à évoquer libéralement ce prétexte afin d’écarter des ressources vieillissantes, oui, mais surtout éminemment dispendieuses.

Faites le calcul. Qui est-ce qui est le plus payant ? Un directeur artistique gagnant 100  000 $ ou quatre DAs juniors à 25  000 $ ? D’un seul coup (de hache ?), on multiplie par quatre les heures facturables, sans compter les heures supplémentaires. Que le senior ne fera pas ; expérimenté, il travaille vite, et mieux. Ce qui se traduit par moins d’heures facturables. Pas une bonne nouvelle pour les associés, ça  !

« Quand tu regardes le rythme de vie en agence, c’est clair que tu ne vieilliras pas très bien dans cette industrie , nous a déclaré l’ex-cadre d’une imposante agence québécoise.  À tout le moins, tu vas vieillir prématurément ! Oui, tu as plus d’expérience à 50 ans, mais tu n’as plus la même énergie.  »

L’expérience n’aurait donc plus aucune valeur en publicité ? Des jambes pas de tête ?

«  Pendant des années, on a embauché à tour de bras des jeunes , explique notre sympathique chasseuse de têtes. On a toutefois oublié que ça prenait du personnel senior pour les former, les encadrer, etc.  »

Aujourd’hui, plusieurs dirigeants réalisent que cette façon de faire coûte très cher. Le taux de roulement est bougrement élevé, ce qui est bien normal. Les jeunes acceptent un boulot moins bien payé comme porte d’entrée . Mais la porte de sortie vers un 5 000$ de plus n’est pas très loin. Et ils la prennent sans aucun remords. S’en suivent d’importantes pertes de temps, d’argent et d’historique de comptes. Et des clients frustrés. 

Les agences ne peuvent compter que sur de l’expertise pointue. Oui, c’est le fun de savoir ce qu’est un hashtag. Mais elles doivent pouvoir offrir aussi à leurs clients de l’expérience. Après tout, c’est pour cela qu'ils les engagent, non ?

«  Dans notre situation de plein-emploi, les publicitaires plus âgés deviendront possiblement une solution intéressante.  Mais pour cela, l’industrie devra réinventer sa façon de faire  », constate, lucide, notre ex-cadre. Pas que les milléniaux qui revendiquent des façons de faire différentes!

Le retour du créatif Alex Bogusky chez CP+B annonce-t-il un retour 2.0 de la vieille garde  ? Ou bien n’est-ce que parce qu’à 55 ans, il est encore beau bonhomme  ? Comme moi ;)

Réagissez à nos pointes de conversation sur Twitter via le # GrenierMag et @pizza4all.