Les agences publicitaires sont de plus en plus portées à diversifier le réseau de boîtes avec lesquelles elles produisent : une rupture de fidélité dans leurs pratiques collaboratives qui s’est opérée au cours des dernières années. Discussion sur le sujet en compagnie de Johanne Pelland et Stephanie Lord.

La dernière décennie aura vu nombre d’histoires d’amour entre agences de publicités et boîtes de production faire place aux histoires d’un soir. En cette semaine où l’amour est célébré, la question peut être posée : la fidélité existe-t-elle encore entre producteurs et agences créatives ? « C’est un sujet chaud ! », répondent, enthousiastes, les productrices Johanne Pelland (Jopelland production) et Stéphanie Lord (4zero1). « Elle est effectivement révolue cette époque où les agences faisaient systématiquement affaire avec les mêmes producteurs, poursuit Johanne Pelland. Et il y a plusieurs raisons à cela. Pensons tout d’abord à l’offre, qui est autrement plus grande qu’il y a dix ans. Le nombre de petites et grandes boîtes de production s’est multiplié au fil des années ; mais pensons surtout à la baisse des budgets. Il y a de moins en moins de sous pour les campagnes télés, c’est tout le milieu qui aura été bouleversé par la venue du web. Nous sommes encore en train d’essayer de nous adapter. »

FINI LES CAMPAGNES

Son de cloche similaire du côté des producteurs. « Nous traversons tous une période, disons-le, d’adaptation, constate Stéphanie Lord. C’est plus rare maintenant de travailler en étroite collaboration avec une agence et son client sur de longues périodes. Par contre, on sait que pour un client, c’est bénéfique d’avoir un contrat de 2 à 5 ans avec son agence. Ça permet de développer une affinité, une compréhension de la marque pour livrer de meilleurs résultats année après année. C’est la même chose en production. Certaines agences consultent les réalisateurs très tôt dans le processus créatif et ce, d’une campagne à l’autre, et ça crée vraiment une meilleure synergie. Les budgets sont de plus en plus petits et il faut qu’on prenne le temps de trouver des solutions tous ensemble. Notre rôle n’est pas d’être un fournisseur, mais d’être un partenaire! ». Et pourquoi les partenariats agences-producteurs à long terme ont-ils moins la cote ? « Entre autres parce que les clients n’investissent presque plus dans les campagnes à grand déploiement, ajoute Johanne Pelland. Les longues campagnes télévisuelles se font rares. Avec certains gros annonceurs qui sont maintenant rendu en Ontario, les agences québécoises n’ont plus de clients qui veulent investir massivement sur de grandes séries en pub. Les longs mandats collaboratifs se sont divisés en de plus petits mandats diversifiés. Alors on retourne plus souvent en appel d’offres. »

UN BAROMÈTRE NOMMÉ « PITCH »

Arrive-t-il néanmoins que certains contrats « clé en main » soient encore offerts aux maisons de production? « C’est rare, poursuit Johanne Pelland, mais, oui, il arrive parfois que l’on veuille absolument travailler avec tel ou tel réalisateur pour tel type de publicité. C’est sûr que pour travailler avec de gros annonceurs, pour les campagnes télés, on va prioriser les grosses maisons. Mais dans le cadre de campagnes gouvernementales, on n’a pas le choix : les budgets sont plus élevés et il faut faire pitcher au moins trois boîtes, ce qui a toujours de bons côtés. » C’est à dire ? « Le pitch est un exercice aux multiples vocations, opine Stéphanie Lord. Ils permettent entre autres aux agences de valider leurs budgets. Par exemple, si tu vends un concept à ton client pour 100 000 $, mais que la moyenne du budget que les trois boîtes te propose se situe autour de 150 000 $, tu sais que tu dois revoir tes chiffres. Ou revoir tes attentes. C’est un processus qui demande beaucoup d’énergie, autant chez les agences que chez les producteurs. »

PLACE AUX JEUNES

Mais un processus qui comporte aussi son lot de bons côtés. « L’érosion de la fidélité entre les agences et les boîtes aura au moins favorisé une chose, poursuit Stéphanie Lord, et c’est l’émergence de jeunes talents. Aujourd’hui, quand on veut faire du beau avec moins de sous, on se tourne davantage du côté des talents émergeants : des jeunes qui ont moins d’expérience, mais qui possède un talent fou. En terme de coupure budgétaire, c’est le meilleur compromis que l’on puisse faire.» Une réalité partagée dans tous les paliers créatifs. « Ce n’est pas parce qu’on fait une campagne web que ça peut être moins bon, ajoute Johanne Pelland. On en revient à dire que l’ensemble des standards de qualité se sont élevés, mais que les budgets pour le faire, eux, rapetissent. Mais nous voulons toujours travailler avec les meilleurs. Et il y en a beaucoup. L’univers de la publicité québécoise s’est aussi transformée parce que les gens de talent se sont multipliés. »

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