La photographe Dominique Malaterre, prolifique artiste derrière le studio montréalais TILT, cumule les distinctions autant du côté des sphères de la photographie expérimentale que commerciale. Discussion sur les écarts et les similitudes entre la photo artistique et publicitaire en sa compagnie.

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Au premier regard, la feuille de route de Dominique Malaterre est une œuvre singulière en soi : photographe de renom, lauréate de plus d’une centaine de prix nationaux et internationaux (dont le prestigieux James Beard Award en 20131), l’artiste derrière le studio TILT fait honneur à la pratique expérimentale de la photographie contemporaine tout en menant de front sa carrière publicitaire. Et, contrairement à la croyance populaire, les liens entre ses travaux de recherche artistique et ses campagnes publicitaires pour le repositionnement corporatif des Rôtisseries St-Hubert, entre autres, ne seraient pas si ténus. « La photo d’art et la photo publicitaire ne partent évidemment pas du même désir, mais partagent néanmoins la même efficacité artistique, lance de sa douce voix Dominique. Que je pose mon regard sur les mouvements d’une chorégraphe ou que je prenne le cliché d’une aile de poulet, je cherche toujours à donner une présence au sujet. J’essaie de le faire exister. »

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Dominique Malaterre, TILT | Crédit : Mathieu Rivard

TROUVER SA LIBERTÉ

Toujours selon elle, de répondre à des commandes publicitaires pour de grandes corporations ne signifie pas de vendre son âme au diable. « À tout le moins pas pour moi, poursuit Dominique Malaterre. Je suis d’avis que les artistes créent au service d’une idéologie depuis toujours. Dans certains cas, je suis au service du matérialisme-capitaliste ; dans d’autres, mon travail se veut libre de toute séduction. L’important est d’y trouver sa liberté. » Une liberté qu’elle fait sienne depuis l’âge de 17 ans. « C’est à cet âge qu’une caméra m’est tombée dans les mains pour la première fois, dit-elle. Je me suis prise d’affection pour cet art, moi qui nageait pourtant à l’époque dans le monde conceptuel de la littérature. Après mes études universitaires, j’ai bien pris quelques cours de photo ici et là, mais, réflexe de littéraire, c’est d’abord à travers les livres que j’ai fait mon apprentissage. J’ai appris les techniques, j’ai évolué avec la technologie : de la caméra 8 X 10 avec laquelle je prenais mes premières photos jusqu’au téléphone cellulaire avec lequel je travaille régulièrement aujourd’hui. »

L’AMOUR DES MOTS

La littérature et les mots occupent encore aujourd’hui une grande place dans la pratique de Dominique. « On dit souvent qu’une image vaut mille mots, poursuit-elle, mais pas dans mon cas. Moi, c’est par les mots que me viennent les images. Avant de sortir mon appareil, je lis sur mes sujets, je me renseigne sur eux. Je les regarde, je les écoute ; je prends des notes, des mots-clés : ces mots m’habitent, c’est mon rituel à moi. Car m’est d’avis que la photo est d’abord et avant tout une question d’intuition : ce moment précis où le déclic de l’appareil est déclenché est souvent difficile à prévoir. Qu’il s’agisse d’une photo d’art ou d’une photo publicitaire, c’est la même chose. On a beau se préparer maladivement, c’est sous le coup de l’intuition que le cliché prend forme. Je compare souvent une session à une partie d’échec visuelle dans laquelle la solution à la problématique ambiante passe par la photo elle-même : elle vient résoudre ces enjeux de communication en cristallisant le mouvement et l’émotion dans le temps. »

CANDEUR

Et quelle serait selon elle sa plus belle réalisation à ce jour ? « En art, poursuit-elle, nos plus grandes réalisations sont souvent les plus récentes. Dans mon cas, il s’agit d’une photo intitulée « Le pas de la tortue », laquelle est en ce moment exposée à l’Agora de la danse (édifice Wilder). On y voit la grosse patte d’une des plus vieilles tortues de la planète, prise sur l’archipel de Seychelles, en train de créer un arc circulaire dans le sol en se déplaçant. Je trouvais le paradoxe très intéressant : celui entre la lenteur de l’animal et la vigueur de la danse. » Et la plus belle qualité qu’à pu développer l’artiste au cours de ses années de pratique ? « Je continue à apprendre, conclut Dominique Malaterre. Je crois avoir beaucoup d’expérience, mais j’ai toujours la naïveté d’une jeune photographe. C’est certainement cette candeur qui me permet de m’étonner, de m’émerveiller encore aujourd’hui. Même devant une aile de poulet ! »

Pour plus d’informations sur le travail de Dominique Malaterre et le studio TILT, cliquez ici.

Pour sa participation au livre du chef Normand Laprise : «Toqué ! Les artisans d’une nouvelle gastronomie québécoise. »