Cet article a été publié dans le Grenier magazine, volume 03, numéro 11.

Comment devient-on directrice associée d’une agence montréalaise à 28 ans? Rarement comme Anne B-Godbout, dont l’ascension s’est accomplie à force de sauts dans le vide.

Crédit photo : Bruhmuller

En 2007, elle a 17 ans et quitte la Vieille Capitale pour la Grand’ Ville et en 2008, elle quitte l’adolescence pour le monde de la parentalité. Elle ne trouve pas sa place sur les bancs d’école et craint alors que cette rupture avec le parcours convenu ne cause l’effondrement de ses ambitions indéfinies.

« Je n’ai jamais su ce que je voulais faire », affirme-t-elle. Alors, elle a tout fait : pendant son second congé de maternité, en 2010, Anne est recrutée sur Twitter par une start-up, pour son habileté avec les mots. Elle devient gestionnaire de communauté alors que le titre en est à ses balbutiements.

Communicatrice naturelle ayant le Web pour langue seconde, Anne chemine vers la pub, où elle peaufine son flair stratégique. En 2013, une semaine après avoir perdu son emploi, elle donne un rein à un humain rencontré sur Internet quelques années auparavant. Pourquoi? Parce qu’il en avait besoin d’un et qu’elle en avait deux.

Son humanité, son amour des mots et son intuition virtuelle se sont tressés en fil conducteur entre les arrêts au stand de son parcours atypique. Les lombes débalancées, mais insatiable de nouveaux défis, Anne bifurque vers le communautaire après son immersion en pub.

Pendant deux ans, elle aiguise sa créativité au carrefour des grands projets et des minuscules budgets de l’organisme GRIS Montréal.

En 2016, Anne fait de nouveau le saut vers le travail à la pige, à la recherche du proverbial équilibre entre travail et famille. Blogueuse hebdo pour Les Affaires, créatrice de contenu, consultante en stratégie Web, elle multiplie les étiquettes au même rythme que les tattoos.

En parallèle de son parcours professionnel, elle porte aussi les chapeaux bénévoles d’accompagnante à la naissance, réalisatrice, présidente du C.A. d’un CPE, en plus de s’impliquer au sein de partis politiques.

La diversité de ses expériences confère à la communicatrice chevronnée une précieuse vue d’ensemble. Son talentueux éparpillement a fait sa notoriété au point de l’obliger à sous-traiter une partie de sa charge de travail.

La stratège-et-cetera de 6 pieds se lance donc une fois de plus dans le vide en créant l’agence 4 pieds 11, où elle consolide ses acquis. Anne met alors sa vision globale au service d’un milieu qui n’a d’autre choix que de filer à toute allure et qui, par conséquent, manque parfois de perspective.

À peine six mois plus tard, son agence est dissoute dans une refonte avec Kap, devenant ainsi directrice générale et associée de l’antenne montréalaise de Kabane. Son cheval de bataille : la dichotomie traditionnel-numérique. « Le numérique est à la remorque de la création », déplore-t-elle, au lieu d’être imbriqué dans le processus créatif et stratégique d’entrée de jeu.

Désormais initiée au don d’organe, Anne fait aussi don de cœur, en greffant sa conscience sociale affutée au précepte cartésien de la stratégie. Pas de temps supplémentaire pour les Kabanois; se réaliser en dehors du travail est aussi prioritaire que d’y performer. « C’est moins rentable d’être humain, admet l’entrepreneure, mais c’est un investissement à long terme d’avoir des employés heureux ».

La gourou du Web ne se soucie pas seulement du bien-être des émetteurs. Pour elle, les communicateurs ont un pouvoir sur la façon dont les messages sont reçus et une responsabilité de bien servir les enjeux sociaux : « Quand une campagne de sensibilisation contre le tabac, par exemple, ne montre que des personnes blanches, elle omet de s’adresser à tout un pan de la société ».

Naturellement friande de marginalité, Anne est inspirée par les projets qui font fi des conventions et osent se renouveler. Parmi ses coups de cœur en 2017 : Jean-François Desrosiers, propriétaire d’un Marché IGA, devenu tête d’affiche d’une campagne nationale après avoir conquis le Web avec des capsules cocasses filmées avec un cellulaire.

Elle retient aussi de 2017 la cure de rajeunissement de Plaisirs Gastronomiques et, en toute humilité, la campagne Nez-Rouge développée par son agence, qui a redonné la parole aux bénévoles dans un paysage publicitaire dominé par les vedettes.

« Arrêter d’oublier que nous sommes des humains » : c’est la résolution d’Anne pour l’industrie, en 2018. L’humain, oui, qui en demeure la matière brute malgré la robotisation des communications. Robots aren’t becoming us, I feared, écrivait l’ingénieure en logiciel Ellen Ullman dans son livre Life in Code, we are becoming them.

À l’antipode du tas de ferraille qui régit de plus en plus nos échanges, Anne B-Godbout insuffle de l’humanité aux mots pour qu’ils ne restent jamais lettre morte. « Une de mes résolutions personnelles 2018, cʼest de me calmer », dit celle dont l’entrée dans les ligues majeures impose à présent d’être plus posée. C’est en quelque sorte un nouveau saut dans le vide, pour cette grande néophyte de la demi-mesure.