Les recettes du commerce de détail valent leur pesant d’or dans le PIB québécois. Économiquement plus important que celui minier ou du transport, ce secteur d’activité maintient un demi million d’emplois. Or, en termes de commerce électronique, avec tout juste 2,4% des recettes totales du commerce de détail, il est indéniable que la province accuse un retard marqué.

En retard ou désintéressé?

Un adulte québécois sur deux dit effectuer des achats en ligne, un taux inférieur à celui du Canada dans son ensemble, mais aussi à celui des Américains, des Français, des Britanniques et des Australiens; c’est ce qu’a constaté le CEFRIO en 2014 en mesurant l’indice du commerce électronique au Québec (ICEQ).

Longtemps, la rumeur a voulu que les consommateurs québécois étaient réfractaires à faire des achats sur internet. Des facteurs comme le vieillissement de la population et la hausse de l’endettement des ménages ont contribué à la lenteur de l’essor du commerce en ligne, renforçant ainsi l’hypothèse de la réticence.

Le tsunami du commerce en ligne n’a toutefois pas épargné la Belle Province : le CEFRIO rapporte qu’en 2014, les Québécois avaient dépensé 6,6 milliards de dollars en ligne. De ce montant, un maigre 1,7 milliard revenait à des entreprises locales.

À qui la faute?

Il y a certes la question d’offres parfois plus alléchantes et diversifiées au sud de la frontière, mais on ne peut faire abstraction du fait que, durant la même année, seuls 14% des entreprises québécoises de vente au détail avaient un site transactionnel. Alors que la demande locale s’exprime à coups de milliards dépensés chez Amazon et compagnie, l’offre hésite encore à investir massivement dans le commerce en ligne.

DeSerres, entreprise québécoise centenaire, figure dans le top 10 mondial dans son secteur d’activités. C’est pourtant seulement en 2011 que l’entreprise de fournitures d’arts a ajouté une composante transactionnelle à son site web. Et jusqu’en 2015, elle a continué à consacrer la majorité de son budget marketing aux médias traditionnels.

Cette réticence est d’autant plus néfaste que la première destination de 78% des clients qui achètent en succursale est… le site web du magasin. Le magasinage hybride gagne en popularité auprès : il permet aux consommateurs d’explorer leurs options à tête reposée, de comparer les offres et de consulter des évaluations/commentaires sur les produits qui les intéressent avant de se déplacer en magasin.

L’idée que les consommateurs physiques et les cyberconsommateurs sont des catégories rivales plutôt que complémentaires contribue aux tergiversations du commerce de détail en la matière.

Les modèles québécois de réussite

En 1999, au crépuscule du commerce électronique, Altitude Sports, une entreprise québécoise d’équipement de plein air spécialisé, lançait son site transactionnel. Aujourd’hui, la vente en ligne compte pour 90 % de ses revenus. Pour attirer sa clientèle, elle mise sur le référencement en ligne, les réseaux sociaux ainsi qu’un blogue auquel collaborent employés, influenceurs et clients. En ligne comme en magasin, c’est la qualité du service qui attire et retient la clientèle.

En 2011, Sophie Boulanger a lancé BonLook avec le plan ambitieux de devenir la destination en ligne pour les acheteurs de montures et de verres de prescriptions, à prix moindre. S’étant heurtée aux règlementations québécoises, qui l’obligent à s’associer à un professionnel reconnu en optométrie pour vendre des lunettes, BonLook a dû se tourner vers le marché américain en attendant de pouvoir opérer légalement ici. Aujourd’hui, BonLook vend 24 000 paires de lunettes par an, dont 85% à des clients américains.

Le commerce en ligne constitue d’ailleurs une opportunité à saisir en matière d’exportation de biens et services québécois. Malgré l’offre encore très limitée, le commerce électronique québécois fait le quart de son chiffre d’affaires hors des frontières de la province.

Un vent de changement

Un nombre croissant d’entreprises locales se dote de stratégies web, mais un travail important doit être fait pour reprendre la place occupée par des commerces étrangers qui se sont érigés, ici comme ailleurs, en modèles dans leur secteur d’activité : pensons à iTunes, eBay, Expedia et consorts.

Le CEFRIO a calculé que si les Québécois dépensaient ici deux des cinq milliards dépensés ailleurs annuellement, il en résulterait 193 millions en taxes perçues et plus de 8 000 emplois créés. Cela sans compter les retombées potentielles d’une croissance de ventes en ligne à des clients étrangers.

L’éveil du commerce électronique québécois fut certes tardif, mais il lui aura permis d’apprendre des bons – et moins bons – coups de ses compétiteurs étrangers. Voilà donc venue sa chance de s’imposer sur la toile avec une force calculée et l’ambition entrepreneuriale qu’on lui connaît.

Cet article a été publié dans le Grenier magazine, volume 02, numéro 46.