Chaque saison vient avec son lot d’expressions marketing chouchoutes. L’omnicanal par exemple, ce principe visant à offrir au consommateur une expérience personnalisée et transparente, nonobstant le point de contact, réel ou virtuel. J’en ai une nouvelle pour vous : l’omnitoute. Petite plongée dans l’océanique Amazon.

Disruptive, l’omnitoute Amazon ? Oh que oui ! Après avoir pris de court les détaillants de livres en moins de temps qu’il ne faut pour lire abra (Cadrabra, la première raison sociale d’Amazon), les détaillants de DVDs, de CDs, de logiciels, d’appareils électroniques, de jouets, de nourriture et même de bijoux furent successivement frappés de plein fouet par la déferlante.

De phénomène marginal, le e-commerce devenait tout à coup une menace terriblement concrète pour les détaillants. Mais comme le constate Jean-François Renaud d’Adviso, « les revenus du présent sont le pire ennemi des revenus du futur ». Les entreprises tardèrent donc à réagir. Lorsque les carnets de commandes des développeurs de modules de vente en ligne se remplirent enfin, Amazon était déjà ailleurs.

Car Amazon ne se contente plus d’adoucir les points de friction en ligne ; il remet carrément en question la notion de commande en ligne elle-même. Pensez au bouton Dash, le petit frère du 1-click ordering system qui vous permet d'une simple pression du doigt de commander votre produit préféré, de l’endroit même où vous l’utilisez.

Le doigt lui-même est un point de friction dont on pourra bientôt se passer. Car bien installée dans le confort de votre foyer, Alexa, l’assistante virtuelle d’Amazon, n’attend que votre commande vocale pour répondre à vos moindres désirs. Un jour, vos petits-enfants seront probablement surpris d’apprendre que dans les chaumières québécoises d’antan, il était d’usage de crier à travers la porte de la salle de bain : « y’a pus de papier de toilette ! »

e-commerce ou logistique ?

L’obsession de réduire l’écart de temps entre le moment de la commande et la livraison du produit emmène Amazon à déborder de plus en plus du «simple» cybercommerce et à s’intégrer dans l’ensemble du processus de traitement des commandes.

D’un côté, en se rapprochant du consommateur. Avec des solutions telles qu’Instant Pickup, qui permet au consommateur de récupérer sa commande en moins de deux minutes dans des locations spécifiques telles que les campus d’universités (milléniums, anyone ?). Ou avec les surréalistes Amazon Lockers, ces chevaux de Troie modernes, placés directement dans des dépanneurs, des pharmacies ou des épiceries ; c’est-à-dire chez des compétiteurs ! Ulysse et Homère doivent la rire encore, celle-là.

De l’autre, en planchant sur ses propres solutions de livraison qui passent de la construction de son aéroport à la création d’Amazon Maritime, une compagnie lui permettant de gérer d'elle-même le transport de ses marchandises en provenance de Chine.

Et que dire de ses tests sur la technologie sans conducteurs ? Ou de son récent brevet pour son AFC (airborne fulffillment center), un entrepôt volant duquel des drones feront la navette jusqu’à votre domicile pour vous livrer directement votre dentifrice ? Il n’y manque que le téléporteur de Scotty et le dernier mille si cher (sic) à la logistique n'est plus qu'un vague souvenir.

Another Brick in the Wall

Comble de l’ironie, pendant que tout le monde du détail se lance enfin dans la course en ligne, Amazon se lance dans la brique et le mortier. Chez des partenaires (Kohl’s), dans ses propres librairies (Seattle, Chicago et New York) ou via les 460 points de vente de la chaine Whole Foods, acquise pour la modique somme de 13,7 milliards US.

Là aussi, la disruption sera au rendez-vous, croyez-moi ! C'est du moins ce que laissent présager les AmazonGo, des magasins sans caissiers !

Et le Québec dans tout ça ?

L’an dernier, les Québécois ont acheté pour 8 milliards $ de marchandises en ligne dont une grande partie provenait d’Amazon. La barrière de la langue étant largement franchie, il est à prévoir que le Québec sera de plus en plus dans la ligne de mire de l’entreprise. C’est ce que laissait entendre Alexandre Gagnon, vice-président responsable du Canada (et du Mexique) pour Amazon à la conférence eCOM Mtl.

Ce qui est loin de faire des heureux ici.

L’an dernier, Peter Simons confiait à La Presse qu’avec toutes « les taxes foncières sur mes magasins, les frais douaniers sur mes importations, les taxes sur mes produits et les impôts sur mes profits », des dépenses qu’Amazon n’a pas, « me demander de me battre contre Amazon, c’est comme me demander de me battre contre Mike Tyson avec une main attachée dans le dos. »

De son côté, l’homme d’affaires Alexandre Taillefer invitait récemment les membres du CQCD à se joindre à lui pour contrer Amazon en créant un Amazon québécois. Mais avec l’effet réseau des 310 millions de consommateurs actifs d’Amazon, c'est déjà trop tard selon Renaud d’Adviso.

N'est-ce pas d'ailleurs ce que tente de faire le site shoooping.ca de François Charron? Mais avec un outil de recherche approximatif (tapez « alimentation » pour voir) et le fait qu’à chaque transaction l’on doive se rendre sur le site du fabricant, avec une nouvelle interface à apprivoiser chaque fois, est-ce l'outil qui forcera Jeff Bezos à rameuter son équipe de direction ? Après les milliards de dollars réinvestis dans Amazon, probablement pas.

On lance la chemisette, alors ? Pas pour Peter Simons.

« Aujourd’hui, on doit créer un environnement sophistiqué. Pas seulement vendre des vêtements, mais aussi un contact humain ». C’est cette expérience humaine qui jouera un rôle dans la balance. En ligne comme hors ligne. L'expérience à la Simons contre le pick'n'go d'AmazonGo. Le sourire de la conseillère de la maison Simons contre l'algorithme d'Amazon. La belle et le bête techno.

Alors que s’amorce une belle bataille entre l’omnitoute Amazon (136 milliards US — 310 millions d’utilisateurs et l’omnitoutetoute Alibaba(158,3 milliards US - 520 millions d’utilisateurs, 700 marchands canadiens qui utilisent déjà Alipay), il est temps de répondre à l’indémodable question : qu’est-ce que j’apporte de plus à mon consommateur que ma compétition ?

Puis à une seconde, (omni)toute aussi importante : que se passera-t-il si Amazon décidait d’installer son second siège social dans le grand Montréal ? Ou à St-Anselme, suite à l'appel logé par le maire de la municipalité de la rive-sud de Québec au grand patron d'Amazon.

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Cet article a été publié dans le Grenier magazine, volume 02, numéro 46.