Les Québécois sont ceux qui consomment le plus de télévision par semaine au Canada et ses artisans sont parmi les plus talentueux. Les critiques exercent-ils vraiment une influence sur les choix des consommateurs de télévision et sur la façon dont les créateurs la font ? Place à la critique des critiques.

La critique du critique par Hugo Dumas, journaliste arts et spectacles, La Presse

Croyez-vous que vos critiques exercent une influence sur le public ?

Hugo Dumas : Oui et non, car la télé possède l’avantage d’être accessible à tous. Alors, peu importe les critiques, les gens vont être curieux d’aller voir pour faire leur propre constat. Les critiques ont un certain pou- voir, mais pas celui de tuer une opinion ou de faire annuler une série. Aujourd’hui, le public s’exprime via les réseaux sociaux. Ainsi, les opinions des internautes s’ajoutent à l’analyse des critiques et font assurément une di érence. Donc, les critiques repré- sentent une partie de l’équation.

En tant que critique, quels sont vos cri- tères d’évaluation ?

Hugo Dumas : Je ne travaille pas à l’aide d’une grille, puisque la télévision c’est de l’émotion. J’essaie par-dessus tout de me demander si les gens regarderaient une émission pendant 12 semaines en dépit de leurs obligations? Évidemment, je tiens toujours compte des points techniques tels que le jeu des acteurs, la pertinence des textes, l’originalité de la réalisation, etc. C’est à la fois un mélange de critères subjectifs et définis. En fait, je vois plus mon métier de critique comme celui d’un défricheur à la recherche de la pépite d’or parmi la montagne d’émissions proposées. L’offre de la télé est devenue tellement grande, les critiques sont là pour orienter le public et lui donner des points de repère.

Comme le monde du showbiz est petit, est-ce di cile de rester objectif ?

Hugo Dumas : Quand je fais une critique, je me demande toujours si j’assume ce que j’écris et si je pourrais le dire directement à la personne concernée. Il s’agit de ma ligne de conduite pour préserver ma crédibilité. Il faut trouver l’équilibre entre la critique judicieuse et respectueuse et la crainte de vexer. Le secret est d’être honnête envers le lecteur, l’artisan et soi-même.

La critique du script-éditeur par André Ducharme

Croyez-vous vraiment que les critiques exercent une influence sur le public ?

André Ducharme : Le public n’est pas accroché à la lecture des critiques autant que les gens du milieu. Il est certain qu’une critique négative et unanime risque d’avoir un effet sur le succès d’une émission de télé. Cependant, la critique permet aussi de découvrir des émissions qui seraient autrement passées sous le radar, surtout maintenant, alors que l’offre télévisuelle est abondante et qu’il est difficile pour le spectateur de tout suivre.

Accordez-vous une certaine importance à la critique ?

André Ducharme : Il y a plusieurs types de critiques, que j’aborde de différentes façons. En télé, si quelqu’un n’aime pas le concept de ton émission, il n’y a pas grand-chose qu’on peut y faire. Si, par contre, la critique porte sur des aspects particuliers, j’y porte davantage attention, surtout si la même critique vient de plusieurs sources différentes.

D’entre l’opinion du public et celle des critiques, laquelle considérez-vous davantage ? André Ducharme : La critique, d’où qu’elle vienne, peut nous permettre d’apporter des correctifs. On apprend à mieux savoir ce qui plait ou déplait et aujourd’hui, avec les réseaux sociaux, on peut le savoir beaucoup plus rapidement. Ceci représente une différence majeure au même titre que de pouvoir échanger avec les spectateurs, chose que je fais quotidiennement, notamment pour Un souper presque parfait. On peut recevoir les critiques du public, mais on peut aussi expliquer pourquoi certaines choses sont faites de telle ou telle façon. Évidemment, on a aussi notre lot de trolls qui détestent pour détester. Avec le temps, on apprend à les gérer et généralement, je m’en amuse.

La critique du comédien par Alain Dumas

Croyez-vous vraiment que les critiques exercent une influence sur le public ?

Alain Dumas: Voici un exemple éloquent : à la fin des années ’80 j’avais assisté à l’un des premiers shows majeurs de Céline Dion. Le public était époustouflé, j’avais les poils dressés sur les bras. Le lendemain, un critique d’un journal connu avait sévère- ment critiqué sa prestation. S’il n’y avait eu que ce journal et que Céline (Et le public) s’était arrêté à ça !

Accordez-vous une certaine importance à la critique ?

Alain Dumas : Je ne crois pas qu’un seul artiste soit insensible à la critique. On fait aussi ce métier-là pour plaire. J’accorde une importance à l’honnêteté et au respect, puis si ces deux critères sont inclus dans la critique, alors oui je lui accorde de la va- leur. Mais d’abord, le plus important, je crois, c’est d’être critique envers soi-même.

D’entre l’opinion du public et celle des critiques, laquelle considérez-vous davantage ?

Alain Dumas : Quand un public manifeste chaleureusement son appréciation à l’un de mes shows, c’est d’abord lui qui compte. J’ajouterais qu’une critique bien construite par un internaute a autant de valeur que celle d’un « pseudo-expert ». En fait, ce qui devient triste avec les réseaux sociaux c’est que, souvent, un mauvais commentaire va engendrer une spirale de dénigrement. Finalement, n’en déplaise aux critiques, c’est toujours le public qui a raison.

La critique du téléspectateur

Alain Dumas: Les quelques sujets interrogés, âgés de 35 à 65, et consommant environ 15 heures de télé par semaine, affirment ne pas être influencés par les critiques et ont plutôt tendance à se faire leur propre opinion. Certes, l’œil aguerri des critiques peut servir d’excellente boussole, mais tous s’entendent pour dire qu’on n’est jamais mieux servi que par soi-même.

Cet article a été publié dans le Grenier magazine, volume 02, numéro 42.