Crédit photo : Donald Robitaille

En pub, si une génération équivaut à cinq ans et demi, c’est donc quatre générations de créatifs qui ont eu l’occasion de siroter moult bombes dans le studio A de Lamajeure. On jase de pub — mais aussi de films, d’albums et de composition musicale — avec Sylvain Lefebvre (aka Sly), président du célèbre studio de son.

Sylvain Lefebvre, Président, Lamajeure

Sylvain, Lamajeure a 33 ans. Tout de même incroyable dans ce milieu où l’espérance de vie est souvent tributaire du bon vouloir de décideurs d’ailleurs. Qu’est-ce qui explique cette longévité?

Sylvain : L’ADN de Lamajeure est la musique. Lorsque l’on a fondé le studio, j’étudiais la trompette à Concordia. Et John Kennedy (ex-producteur chez JWT) jouait du trombone. Notre business fut donc axée sur la musique dès le début. On faisait de la musique de film, on enregistrait des albums. Le premier film que l’on a fait était Le Matou de Jean Beaudin avec la musique de François Dompierre, tu imagines !

Et la pub ?

Sylvain : La pub est venue 10 ans plus tard. L’industrie du disque connaissait des moments pénibles. Les ventes baissaient, les budgets d’albums aussi. Michel Corriveau et moi, on a commencé à travailler ensemble sur de la musique originale de pubs. De fil en aiguille, j’ai commencé à mixer les pubs elles-mêmes. C’est parti en flèche. C’était l’époque des grosses prods. On faisait probablement 80 % des pubs de Cossette, Bos était un client exclusif.

Belle formation pour tes mixeurs, ça. J’imagine qu’il y en a pas mal qui sont passés chez Lamajeure au cours de ces années ?

Sylvain : Le taux de roulement est étonnement bas, mais on a pas mal fourni toute la ville en mixeurs. Chez Audio Z, chez Apollo, chez Blvd Mtl. Et comme le groupe Attraction a intégré Lamajeure au sein de Mile Inn l’an dernier, on collabore régulièrement avec Apollo.

Les budgets publicitaires qui baissent, ça vous affecte ?

Sylvain : En 2008, comme tout le monde, on a souffert. Au plus bas, on était à 15 employés, mais là on est remonté à 30. Notamment parce qu’on a investi dans la distribution. On s’est créé une plateforme de distribution sur mesure nous permettant d’envoyer directement les spots télé de nos clients chez les diffuseurs, dans le bon format. On a dû les négocier un à un afin d’entrer nos serveurs chez eux. Au début, ils étaient sceptiques, mais quand ils ont réalisé l’économie de temps sur le transcodage, ils n’ont pas hésité. On est les premiers à faire ça. Et avec notre fibre optique de 160 mégabytes/sec, je te dis que les spots arrivent à temps. Et si le client a fait une erreur dans son message, en une heure, la station a une nouvelle copie.

Faites-vous encore du film ?

Sylvain : Absolument. Je n’ai jamais arrêté. On vient de terminer Momentum, un film avec Nicolas Cage. On fait des séries aussi. On a fait Les pays d’en haut. Et récemment, Acceptable Risk, une télésérie finlandaise de 6 épisodes.

Tu voyages beaucoup ?

Sylvain : Je vais régulièrement à Los Angeles. Je travaille là-bas avec 2-3 compositeurs, mais surtout avec Laurent Eyquem. J’ai été à Londres, aux studios Abbey Road. À Seattle. À Prague. Mais règle générale, je reviens toujours mixer dans mon bon vieux studio A. Plus pratique. Plus efficace.

La différence entre faire de la musique de film et de la musique de pub ?

Sylvain : Le temps ! Une pub, ça se fait vite. Pas de temps pour des crises existentielles, les décisions sont plus rationnelles. Alors qu’en film, c’est l’émotion à vif. Le réalisateur vit avec son film pendant 2-3 ans. Imagine, ça fait 6 mois que tu montes son film sur une temp track (une piste audio sur laquelle on place une musique, évidemment temporaire). Tu l’as-tu dans tête la temp track ! Méchant défi pour le compositeur. C’est comme si je prenais ton film préféré, celui que tu as vu des dizaines de fois, et que je changeais toute la musique !

Hey fais pas ça, c’est The Song Remains The Same de Led Zeppelin ! (RIRES) On voit ça aussi en pub, non ?

Sylvain : Hélas oui. Combien de pubs sont vendues aux clients avec une toune up la vie sur le montage. Une toune qu’ils ne pourront jamais se payer. Si tu veux déprimer un compositeur, fais ça. Gênant.

Petit conseil à l’industrie ?

Sylvain : Au nom de tous ces talentueux compositeurs, svp arrêtez de monter sur des temp tracks !

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Cet article a été publié dans le Grenier magazine (Vol. 2 - Numéro 34 - 14 mai 2017).