Quelques formulations entendues pendant la pause publicitaire de votre télésérie préférée : bière rafraîchissante, voiture performante, yogourt santé, resto branché. Une litanie de lieux communs dont les annonceurs semblent raffoler. Discussion sur le sujet en compagnie de Martin Bélanger, directeur général et de création chez Union, et Mathieu Bouillon, concepteur chez Sid Lee.

Martin Bélanger, Directeur général et de création, Union
Crédit photo : Sandra Larochelle

Mathieu Bouillon, Concepteur, Sid Lee

Le Web est récemment passé bien près de s’effondrer lors de la mise en ligne d’une toute nouvelle vidéo publicitaire signée Pepsi : un petit court métrage mettant en vedette Kendall Jenner, qui s’attira les rires et les foudres d’une marée d’internautes lui reprochant d’avoir employé tous les clichés de société possibles pour transformer (très) maladroitement un mouvement social en un argument marketing. « C’est un petit guide du comment manquer son coup en pub, s’amuse Martin Bélanger. Pepsi a voulu se payer un trip, mais quelqu’un n’a manifestement pas pris assez de distance sur le produit final. »

Lieu commun, lien commun

Dans la foulée du Pepsigate, nous avons invité deux éminences grises publicitaires à expliquer la notion du cliché en pub. Force est d’admettre qu’elles ne sont pas prêtes à le passer au pilori. « Pepsi s’est commis dans la réalisation d’un simulacre cheap de message bien pensant, tranche Mathieu Bouillon. Dans cet exemple-ci, il ne faut pas dénoncer l’emploi des clichés plutôt que la façon de les utiliser. Utiliser des images fortes pour frapper l’imagination du public est une chose ; laisser croire qu’une canette de Pepsi peut mettre fin à toutes les divisions du monde, c’est juste vulgaire. »

Même son de cloche du côté de Martin : « Le lieu commun (je préfère cette appellation) demeure un élément essentiel dans la transmission d’un message, poursuit-il. C’est ce qui nous permet de connecter rapidement avec le public. N’oublions pas qu’on n’a que 30 secondes, souvent moins, pour créer un lien d’attachement. On doit utiliser les raccourcis les plus efficaces. »

Le bon cliché

Un exemple du bon emploi d’un cliché ? « Les dernières pubs du Lotto 6/49, répond Mathieu du tac au tac. On part d’un réflexepopulaire : quand on a un coup de chance, on se dit qu’on devrait aller s’acheter un 6/49. Voilà un lieu commun auquel tous peuvent se référer. Les façons de le décliner sont si astucieuses qu’on se reconnaît dans les mises en scènes. Tant et si bien qu’elles nous font sourire et qu’on a hâte de voir les prochaines. »

Martin Bélanger renchérit : « Il y a là-dedans ce que j’appelle l’effet « c’est don’ vrai ! » C’est ce qu’on se dit quand on jase avec quelqu’un, qu’il nous raconte une histoire et que son récit nous rejoint. C’est un procédé que les humoristes emploient presque systématiquement. Si ta publicité génère le même effet sur l’auditoire, tu as gagné ton pari. »

L’humour et ses cibles

Mathieu acquiesce : « Des gars comme Louis-José Houde et Louis C.K. sont passé maîtres là-dedans. Ils parlent de situations de la vie qu’on connaît tous, mais d’un angle surprenant. L’utilisation d’un cliché, dans le fond, sert à actualiser une vision du monde que plusieurs personnes partagent déjà. »

L’humour et ses personnages caricaturaux en publicité génèrent-ils eux aussi leur part de clichés ? « Mais absolument, enchaîne Martin. On parle souvent de ce personnage de l’homme cornichon, ce stéréotype de gars un peu empoté qui se retrouve dans diverses situations. C’est un cliché très utile quand on part du principe qu’en humour, il doit y avoir une victime. Il doit y avoir quelqu’un qui, au sens figuré, glisse sur une pelure de banane quelque part. Est-ce qu’en 2017 cette personne peut être n’importe qui ? Non. Il faut bien choisir les victimes. Lorsqu’une marque prend la parole, contrairement au cinéma, le public s’offense plus facilement. »

Repenser les codes

Reste que les créateurs ne demandent qu’à bouleverser les standards. « J’essaie de m’amuser le plus possible avec les limites, affirme quant à lui Mathieu. Je crois qu’il y a toujours une façon de les transgresser poliment, intelligemment. Parfois, les marques elles-mêmes se créent des limites qui les cantonnent dans un cliché. » Par exemple ? « Les pubs de pharmacies étaient jadis extrêmement conservatrices, poursuit Martin. Pour les publicitaires, elles étaient de loin les moins prisées de l’industrie. Mais une petite révolution s’est produite il y a 15 ans avec l’arrivée des pubs de Familiprix. Un joueur est arrivé et a repensé les codes avec avec succès. » Et Mathieu de conclure : « C’est un défi perpétuel : utiliser les lieux communs pour surprendre et séduire. Heureusement, on n’aura jamais fait le tour des comportements humains. Tant que la société change, les codes changent aussi. »

Cet article a été publié dans le Grenier magazine (Vol. 2 - Numéro 30 - 17 avril 2017).