L’équivoque flotte encore trop souvent en ce qui a trait au quand, au comment et au pourquoi de l’incursion du légal dans le processus créatif publicitaire. Le droit en pub : un éteignoir ou un catalyseur d’idées ? Discussion sur le sujet en compagnie de Me Lyne Robichaud, du cabinet LJT Avocats.

Lyne Robichaud
Avocate, LJT Avocats

Joindre une avocate sur son heure de lunch n’est jamais de bon augure. À moins que ce ne soit pour se faire raconter ce genre d’anecdote par Me Lyne Robichaud : « Il y avait cette publicité de bière américaine qui entamait sa diffusion sur nos ondes. Son slogan était fort simple : « Best beer in America (Meilleure bière d’Amérique) ». Sans doute cette affirmation pouvait-elle s’avérer véridique en territoire américain en vertu d’un sondage ou d’une étude quelconque. Mais le mot “ America ”, ici, en terres canadiennes, nous posait problème – car ce terme, linguistiquement, désigne un territoire qui ne se limite pas qu’aux États-Unis. N’ayant rien pour prouver que sa bière était effectivement la meilleure de toute l’Amérique du Nord, la compagnie a dû retirer sa publicité des ondes canadiennes. En publicité, si tu ne peux valider ce que tu affirmes, tu contreviens à la loi. C’est avec cet argumentaire que nous avons gagné notre cause. »

Au service de l’agence, du client, des créatifs… et du produit


Au bout du fil, la volubile avocate spécialisée en droit de la publicité ainsi qu’en propriété intellectuelle connaît manifestement le poids des mots. Elle ne s’en cache d’ailleurs pas : les termes “ erreur ” et “ omission ” sont rarement les termes les plus sexy du vocable publicitaire. Ils sont pourtant essentiels, affirme-t-elle.

En communication créative, le légal existe pour accompagner et protéger. Il a un rôle à jouer à chaque palier ou presque des étapes de la création. Ça commence à l’embauche des employés par une agence, pour s’assurer que les contrats octroyés aux créatifs soient parfaitement rédigés et que l’agence reste titulaire des droits de création. On assure aussi les liens légaux entre l’agence et le client. Et, bien sûr, on travaille de pair avec les concepteurs et les directeurs artistiques pour s’assurer que le matériel proposé ne soit pas en violation avec une quelconque loi. Quand on fait bien notre travail (ce qui est notre habitude, je peux vous l’assurer !), tout le monde gagne au change. Il m’est d’avis que ça vaut aussi, au final, pour la qualité du produit présenté. »

Éviter la tourmente


Et quels sont ces cas de violations précédemment évoqués, pour lesquels les créatifs doivent tourner sept fois leur plume dans l’encrier avant de soumettre leur concept ? « Parlons plutôt au positif, réfute Me Robichaud : comment ne pas s’embourber dans une procédure légale ? Il s’agit d’abord de s’assurer que les droits de tous sont respectés. Les libérations de droits d’images, s’il y a lieu, de musiques; le respect des conventions collectives des artistes, aussi. Ça fait partie de notre boulot, et c’est intrinsèque au travail créatif. Un concept, aussi génial et novateur soit-il, ne verra jamais le jour s’il est erratique – ou, pire, verra-t-il le jour et engendrera de lourdes poursuites. »

Des exemples de cas particulièrement problématiques ? « Il y en a évidemment eu, poursuit Me Robichaud. Mais, par respect pour nos clients, je vais m’abstenir d’en parler. Ce que je peux rappeler, toutefois, c’est l’importance d’être sensible à la propriété intellectuelle. Par exemple : si une publicité nous présente un panorama de la ville de Montréal dans lequel il est possible d’entrevoir le Stade olympique, il n’y a pas de problème. Toutefois, si on fait un gros plan dudit stade et que l’on s’en sert comme élément ostentatoire et reconnaissable, ça pose problème puisqu’il s’agit d’une œuvre architecturale soumise à la propriété intellectuelle. »

De l’importance de cristalliser l’idée


Il n’est d’ailleurs pas rare que les rédacteurs-concepteurs publicitaires doivent se plier à d’autres types de règles bien établies. « Les pubs de bières, par exemple, doivent répondre à deux commandements, poursuit Me Robichaud : ne jamais montrer d’individus en train de boire d’alcool et ne jamais mettre en scène des personnages en train de s’adonner à une activité potentiellement dangereuse (comme conduire une voiture ou escalader une falaise). Je me rappelle par exemple d’une publicité de bière où nous nous étions battus pour que les protagonistes puissent faire du bodysurfing. Nous avions plaidé que les risques associés à cette pratique étaient minimes, et nous avions finalement gagné. »

Et qu’en est-il de la notion de plagiat ? « Il faut être prudent en publicité, comme dans toutes autres formes d’art, car plusieurs sont rapides sur la gâchette du plagiat, affirme Me Robichaud. Il faut cependant faire la nette distinction entre un plagiat éhonté et des ressemblances de styles, de techniques.

Aussi, jamais un créateur ne pourra protéger une “ idée ”. Les idées, c’est quand on les cristallise, quand elles sont écrites ou sculptées, qu’elles existent aux yeux de la loi. Heureusement ! Un juge a déjà dit cette jolie phrase : “ Si une idée pouvait être protégée, il n’y aurait qu’un seul roman d’amour dans les bibliothèques. ” D’où l’importance pour les créatifs de passer à l’action. »

Rappelons qu’en juin dernier, le Conseil des arts de Montréal et la Chambre de commerce du Montréal métropolitain ont décerné à Lyne Robichaud le Prix Personnalité Arts-Affaires.


Premier rang : Nathalie Maillé, directrice générale du Conseil des arts de Montréal, Sylvain Émard, Lyne Robichaud, avocate associée du cabinet Legault Joly Thiffault et présidente de Sylvain Émard Danse, Manon Gauthier, membre du comité exécutif de la Ville de Montréal, responsable de la culture, du patrimoine et du design, d’Espace pour la vie et du statut de la femme, Anne-Marie Laoun, présidente de Georges Laoun Opticien, porte-parole des Prix Arts-Affaires. Deuxième rang : Jan-Fryderyk Pleszczynski, président du Conseil des arts de Montréal, Michel Leblanc, président et chef de la direction de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain.

Crédit photo: Normand Huberdeau/Groupe NH photographes