Alors que le rôle de la pub est d’aider les marques à se distinguer par la créativité et la folie, on a l’impression qu’on la souhaite maintenant discrète, polie, gentille et dans les rangs. Le bois serait-il la nouvelle matière avec laquelle doivent composer les créatifs?

Dom Bulmer
Directeur de création adjoint, Bleublancrouge

Nicolas Thiboutot
Directeur de création, Lost Boys Paris

Pascal Henrard
Associé, créateur de contenu, Esprit de Marque

Pier Lalonde
Pixel, et Cie

Valérie Letarte
Conceptrice, 550ml.ca

DC
Directeur de création anonyme

Groupe, la planète semble revenue à l’âge de bois. La langue des politiciens en est fait, on bastonne les humoristes qui écrivent un numéro sur la liberté d’expression et l’office de la langue (de bois) nous invente chaque jour des acrobaties linguistiques pour nommer « correctement » ceux qui ne voient pas, qui entendent mal ou qui ont pris un verre de trop. On a même trois réponses possibles à la question « Sexe » dans les formulaires.

La pub est-elle victime, elle aussi, de cette politically-correctitude?


Pier : Absolument! À tous les égards et dans toutes les sphères d’activité — y compris la publicité — on ménage la chèvre et le chou. Les médias sociaux font en sorte que les annonceurs ont peur de déranger, de choquer, de s’aliéner certaines clientèles.

Pascal : Résultat : on craint la moindre vague et les annonceurs réagissent dès la première plainte. Il faut arrêter de croire que, parce qu’un consommateur ou une blogueuse élève la voix, tout le monde pense comme lui ou elle.

Comment décririez-vous une publicité « politiquement correcte » ?


Valérie : C’est une publicité devenue fade à force d’être pensée pour et par tous.

DC : Tout le monde doit y être représenté de manière égale. Et elle ne doit pas porter ombrage (réel ou imaginé) à personne. Par exemple, dans une pub humoristique, le dindon de la farce sera toujours un homme blanc d’âge moyen. La même situation avec une femme ou une minorité visible ferait exploser les médias sociaux.

Dom : C’est comme de l’art d’hôtel : c’est pas fait pour être bon, c’est fait pour ne déplaire à personne. (RIRES)

Cette correctitude communicationnelle doit nécessairement avoir un impact sur la créativité, non?


DC : C’est sûr. Les équipes créatives doivent souvent s’autocensurer pour éviter de présenter des concepts voués à une mort certaine. Je ne dis pas qu’il faille choquer gratuitement, mais il faut pouvoir créer sans avoir peur de froisser quelques personnes qui — souvent — ne font même pas partie du groupe cible.

Dom : Ça rétrécit le carré de sable créatif, et ça nivelle la création vers le bas; faut pas froisser personne. La politically-correctitude, c’est laisser des forces externes dicter les valeurs d’une marque.

Pier : Faut pas faire de vagues, faut pas se faire d’ennemis... Pourtant, le risque et l’audace sont des éléments de base que le consommateur admire dans la pub. Notre métier est de voir autrement ce que tout le monde voit normalement, et de le présenter de façon à les faire réagir, soit par les sentiments.

Nicolas : Personne ne nous empêche de présenter des idées qui dérangent. Il faut seulement être très solide sur la stratégie et s’assurer que la marque peut porter ce type de message.

Opter pour l’unpolitically-correctitude, est-ce la nouvelle façon de se distinguer du lot?


Valérie : Choquer pour choquer n’a jamais relevé de la grande idée. Et tout n’est pas politically correct ou non, en dichotomie. On peut être ailleurs, en beauté, en humour, en profondeur, et ce, sans que la question ne se pose.

Pascal : Mais certains créatifs pensent qu’être audacieux c’est être unpolitically. Ils oublient souvent d’être pertinents. La course au scandale n’est pas garantie d’efficacité. Désormais, l’auditoire veut de la substance.

Nicolas : Ceci étant dit, si c’est en accord avec la marque, pourquoi s’en priver? Par exemple, lorsque je bossais pour American Apparel (en 2003), la marque assumait très bien son unpolically-correctitude. Avec peu de moyens de production, elle a réussi à attirer l’attention de la planète entière! Et regardez Calvin Klein qui tente de reprendre ce territoire, histoire de se remettre sur la carte.

Comment on fait pour déterminer si une pub est « Politiquement correcte » ou pas?


Je pense, entre autres, à ce message télé de Cheerios paru voilà déjà quelques années où, alors qu’on tentait d’être très « correcte » en présentant une famille formée d’un papa noir, d’une maman blanche et d’une fillette mulâtre, la moitié des États-Unis criait au scandale! Ou encore, plus récemment, ce panneau de John St. pour un salon funéraire invitant les conducteurs à texter ET conduire! C’est pas « Politiquement correct » du tout, mais parce que le message s’inscrit dans un souci sociétal, ça passe.

Valérie : Une pub « politiquement non correcte » en est une qui adopte un point de vue tout en sachant pertinemment que celui-ci ne fera pas l’unanimité.

Pascal : C’est aussi une question de culture, de perception. Ce qui est unpolitically-correct pour moi ne l’est peut-être pas pour toi.

DC : Pas compliqué, une pub pas « politiquement correcte » en est une qui cherche à avoir un résultat probant pour le client, et ce, sans se soucier de l’avis d’une assistante-coiffeuse de Sorel-Tracy! (RIRES)

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