Le transmédia, vous connaissez? Cette combinaison multimédia libre et éclatée, qui permet à des auteurs de faire déborder leur imagination sur plusieurs plateformes physiques et virtuelles, est en effet peu connue au Québec. On en jase donc ici même avec des mordus du genre.

S’il y a une chose sur laquelle les artisans du transmédia semblent ne pas s’entendre, c’est bien sa définition elle-même. Votre définition à vous, c’est quoi?

Véronique Marino : C’est avant tout une nouvelle écriture. Complexe, car elle implique une double scénarisation : celle du contenu et celle des contenants. Par exemple, à partir d’une histoire cinématographique (prenons The Matrix), on va développer en bédé, en livre, voire en jeu vidéo, des histoires parallèles au film, plutôt que d’en répliquer son histoire. On parle donc ici d’une méta-histoire formée de toutes ses parties.

Andrea Doyon : Pour moi, c’est de faire plonger un auditeur dans un univers, à travers des points de contact de sa propre réalité, soit physique ou virtuelle. Par exemple, dans I love bees, la campagne ARG (Altered Reality Game) du lancement du jeu Halo 2, les participants devaient se rendre sur des places publiques, à travers les États-Unis, à une heure donnée. À ce moment, les téléphones publics se mirent à sonner à l’unisson! Ceux qui répondirent reçurent donc un indice pour accéder à une section cachée du site Web d’un présumé apiculteur en herbe. And so on... L’auditeur est ainsi placé dans l’histoire.

Philippe Lamarre : Mais, à la base, c’est tout simplement l’art de raconter une histoire de la façon la plus appropriée à chacune des plateformes où celle-ci se retrouve. Après, que ce soit la même histoire, des histoires différentes ou tout plein d’histoires mises ensemble pour en former une grande, ça devient du débat académique un peu inutile.

Véronique Marino, consultante et directrice, programme médias interactifs, INIS


Pourquoi le transmédia ?

Philippe : Depuis la nuit des temps, l’être humain est fasciné par l’histoire, par le conte. Longtemps, la narration fut linéaire, mais la venue de l’Internet a permis de rapprocher l’auditeur de l’histoire, un peu comme le faisaient les fameux livres-dont-vous-êtes-le-héros de mon enfance.

Véronique : La nouvelle génération de créateurs de contenu est née avec Internet, avec les jeux video et avec les téléphones intelligents. Des mecs comme Robert Kirkman, créateur de The Walking Dead, ils font tous du transmédia, même s’ils ne l’appellent pas ainsi. Plutôt que de séparer les plateformes, ils les font cohabiter. Un peu comme ils consomment ces médias eux-mêmes.

Philippe Lamarre, producteur et directeur de création, URBANIA | Crédit photo : Simon-Couturier


Ça implique donc qu’il faut apprendre à écrire une histoire en amont des plateformes. Apprendre à... la programmer ? (RIRES)

Andrea : C’est pas mal ça! Nous, on travaille souvent avec Sand Box, un principe de simulation virtuelle issu du jeu vidéo. On créé un environnement avec ses propres règles, puis à partir de là, ce sont les gens qui font évoluer l’histoire. Et, éventuellement, l’environnement lui-même!

Philippe : Le monde du jeu vidéo est un proche parent du transmédia. Garder des auditeurs captifs/actifs pendant très longtemps, c’est leur spécialité. Toutefois, on aurait sûrement intérêt à faire des maillages, par exemple teamer un concepteur de jeux vidéo, un programmateur et un réalisateur de documentaire.

Andrea Doyon, président du conseil d’administration, Alice & Smith


En dehors du financement via le volet expérimental du Fonds des médias ou de l’ONF, c’est viable le transmédia ?

Andrea : Au Québec, il y a eu quelques cas d’annonceurs qui ont fait du transmédia. Par exemple, 33 clés de Mazda, voilà déjà quelques années. Mais vendre le transmédia à un client, ce n’est pas évident… Sauf s’il a une bonne culture numérique! Alors là, quand on lui démontre les taux d’engagement, ça l’intéresse!

Philippe : Le problème, c’est qu’il n’y a pas de modèle d’affaires. C’est pour ça que je ne fais qu’un Fort McMoney aux trois ans, pas plus. Je vois ça comme du R&D. La nature intrinsèque de cette bête en constante évolution qu’est le transmédia fait en sorte qu’elle est difficile à nommer, à comprendre, à consommer et, donc, à financer. Heureusement, les Vincent Morrissette, Geneviève Cardin, Yako d’ici, et les Jonathan Harris, Ze Frank d’ailleurs, continuent de repousser les limites narratives, et ce, afin de nous faire vivre des moments uniques en termes de créativité. Et cela, c’est sans prix! Même si, malheureusement, c’est sans budget aussi, ou si peu.


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Article paru dans le Grenier magazine du 25 janvier 2016. Pour vous abonner, cliquez ici.