Les vétérans de l’entrepreneuriat québécois complèteront, d’ici quelques années, leur lente passation du flambeau. Portrait d’une nouvelle génération d’entrepreneurs, en compagnie d’Yvon Gasse.

Les bonnes résolutions du Québec Inc. pour l’année 2016 sont loin d’être modestes. Avec de nouvelles initiatives telles que Devenir entrepreneur, l’émergence de concours comme le Défi OSEntreprendre ou la promesse d’un mouvement tel que Adopte Inc., fruit d’une réflexion visant à encadrer pas moins de 500 nouveaux entrepreneurs, le monde québécois des affaires entend faire grand bruit au cours des prochains mois. Toutefois, si d’aucuns se risquent à prédire depuis quelques années le déploiement imminent d’une nouvelle génération de dragons, force est d’admettre que l’impact de cette relève, qualifiée d’ambitieuse par plusieurs, se fait encore attendre. « Tout n’est pas rose en ce moment au pays de l’entreprenariat québécois, affirme Yvon Gasse, spécialiste en questions entrepreneuriales. Je ne dis pas que tout va mal, au contraire, mais si on se compare au reste des provinces canadiennes, nous avons encore du travail à faire pour nous comparer avantageusement. »

En retard sur le ROC


Pour en arriver à cette conclusion, l’ex-professeur de la faculté des sciences de l’administration de l’Université Laval s’est permis de sonder le degré de satisfaction de deux générations d’entrepreneurs Québécois : les X et les Y. « Leur niveau d’enthousiasme n’est pas débordant, confie Yvon Gasse. Lorsqu’on demande aux générations X (35 à 46 ans) et Y (20 à 34 ans) s’ils sont satisfaits du rendement de leur entreprise, c’est partagé : 50 % nous disent que ça va bien; 50 % nous disent que ça ne va pas bien. Ce n’est pas suffisant. Si ces données d’appréciation peuvent paraître subjectives, dites-vous qu’elles corroborent celles fournies par le Global Entrepreneurship Monitor, une étude pragmatique sur le rendement entrepreneurial, conduite par un consortium d’universités. Depuis quelques années, la Belle Province fait du surplace. Pendant les années ’60, au plus fort de la Révolution tranquille, le Québec et le ROC étaient sur un pied d’égalité. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. »

Changement de vision


Loin d’être alarmiste, Yvon Gasse explique cet écart par l’arrivée d’une nouvelle vision entrepreneuriale en pleine éclosion. « Les plus jeunes, les Y, abordent l’expérience entrepreneuriale d’une toute nouvelle façon, affirme-t-il. Autant les boomers, jadis, se lançaient en affaires avec l’unique objectif de réussir, autant les Y priorisent l’expérience avant le résultat. Le succès d’une entreprise n’est pas une fin en soi pour eux : l’important, c’est de s’accomplir à travers l’aventure. L’échec, aussi, est une chose plus facile à accepter, à relativiser, car si ça ne marche pas, ils essaieront tout simplement autre chose. » Un constat sur lequel Yvon Gasse se garde bien de porter un jugement. « Est-ce là quelque chose de forcément négatif ? Je ne crois pas. Contrairement à plusieurs de leurs prédécesseurs, les Y se permettent d’avoir une vie parallèle à leur entreprise. Ils ne travaillent pas nécessairement 7 jours sur 7, 80 heures par semaine. Leur entreprise représente pour eux une source d’apprentissage. Aussi sont-ils davantage habitués à travailler en équipe, ils délèguent donc plus facilement. »

Yvon Gasse

Nouveaux modèles


Yvon Gasse fait aussi référence à la prédominance de l’aspect multitâche chez les 20 à 34 ans. « Ils travaillent souvent sur plusieurs projets simultanément, affirme-t-il. Ils savent décliner leurs idées sur de multiples plateformes. Si l’une d’elles ne fonctionne pas, ils ne s’acharneront pas : ils la changeront ou l’abandonneront, tout simplement. À l’image du marché des applications numériques, ils savent s’ajuster rapidement. » Auteur du réputé questionnaire d’auto-évaluation « Ai-je un profil d’entrepreneur ? », Yvon Gasse ne remet aucunement en question la motivation de la nouvelle génération d’entrepreneurs. « Ils ont de la conviction, mais à leur façon, note-t-il. La culture entrepreneuriale québécoise se transforme graduellement. Ç’aura pris des générations avant que les boomers québécois ne s’affranchissent du carcan voulant que l’entrepreneuriat n’était qu’une affaire de Canadiens anglais. Aujourd’hui, les Y doivent non seulement créer de nouveaux modèles d’affaires, mais, avec la venue du marché numérique, ils doivent aussi apprendre à faire des profits autrement. Mais ils font assurément partie du changement! »

Optimisme permis


Chose sûre, Yvon Gasse voit d’un très bon œil les nouveaux moyens mis en place pour offrir un encadrement aux jeunes entrepreneurs. « C’est ainsi qu’on développe la prospérité d’une culture entrepreneuriale, conclut-il. Difficile de dire où se positionnera le Québec dans 5 ou 10 ans, mais nous prenons les moyens pour nous éduquer. D’ici quelques années, la nouvelle génération aura créé ses repères et les choses se stabiliseront pour le mieux. La maîtrise de l’entrepreneuriat n’est pas une chose innée, mais elle s’acquiert, comme toutes les connaissances. »


Article paru dans le Grenier magazine du 18 janvier 2016. Pour vous abonner, cliquez ici.