Il y a quinze jours, un groupe de membres du Congrès américain chargé de la lutte contre le piratage audiovisuel a placé 5 États en tête d’une liste de pays à surveiller. Il s’agit du Canada, de la Chine, du Mexique, de la Russie et de l'Espagne. Les parlementaires américains se sont dits très déçus des progrès enregistrés dans ces pays concernant la lutte pour la protection de la propriété intellectuelle. Ils appellent notamment les gouvernements à «agir contre des sites internet installés à l’intérieur de leurs frontières et dont le modèle économique est fondé sur la diffusion illégale de contenus»

Le problème est que la population et plus particulièrement les jeunes se sont habitués à bénéficier d’un accès gratuit et quasiment illimité à de nombreux contenus audiovisuels. Les sites de partage sont de plus en plus populaires et permettent aux utilisateurs de s’échanger librement du contenu sans avoir à s’acquitter des droits d’auteurs. Ainsi, de nombreux logiciels et sites Internet P2P sont actuellement en activité, proposant de la sorte une alternative à l’achat en magasin ou en ligne.

Les grands distributeurs tentent depuis plusieurs années de lutter contre ce qu’elles appellent le « vol de propriété intellectuelle », notamment via la voie judiciaire. Toutefois, il est très difficile et très dispendieux de traquer les internautes qui s’échangent du contenu, uniquement pour leur jouissance personnelle. Face à cette concurrence déloyale, une première réponse a été apportée quand les maisons de disques ont proposé leur service d’achat de musique et autres contenus. Toutefois, même si l’iTunes Store a remporté un certain succès, ce modèle d’affaires basé sur le téléchargement payant n’a pas encore réussi à trouver son essor et n’a surtout pas ralenti le téléchargement gratuit, donc illégal, de contenu payant.

D’autres initiatives se sont développées afin d’offrir une alternative aux jeunes internautes souhaitant télécharger légalement du contenu. L’une d’elles, Spiral Frog (crée en 2007 pour le marché nord-américain) s’est appuyée sur la publicité pour mettre au point son système d’affaires.

Alors, comment réconcilier téléchargement légal et gratuit? Beezik.com pense avoir trouvé la solution : le site propose à l’internaute de télécharger gratuitement de la musique de manière légale. Pour l’instant accessible uniquement depuis la France et Monaco, le site a fait parler de lui le mois dernier en annonçant avoir permis le téléchargement de 1,4 millions de titres sur Internet en avril, soit plus qu'iTunes, qui domine pourtant le marché mondial de la distribution de musique. Le site se finance via une publicité vidéo diffusée à chaque téléchargement. En effet, la vraie gratuité n’existera jamais et Beezik.com s’appuie sur les annonceurs pour assurer son financement : le coût par clic est d’environ 30 à 40 cts € selon le patron de l'entreprise. Mais la différence avec les autres modèles proposés jusqu’à présent est que l’internaute est obligé de regarder le message publicitaire : après avoir sélectionné le morceau à télécharger les utilisateurs sont invités à choisir la publicité qu'ils vont regarder, pour payer leur téléchargement … avec leurs yeux. Attention, pas question de profiter de cette pause publicitaire pour faire autre chose ! Une fois le spot terminé (il s'affiche obligatoirement en mode plein écran), les internautes n'ont que quelques secondes pour valider leur téléchargement. Faute de clic, ils doivent renouveler l’opération avec une nouvelle publicité.

Beezik.com se présente donc comme le premier site de téléchargement à tenir compte des enjeux de la création musicale (protection des droits d’auteur) et des nouvelles exigences du consommateur (culture de la gratuité et faiblesse du pouvoir d’achat, particulièrement pour les cibles jeunes). La musique téléchargée est très protégée, notamment via une licence d’utilisation à durée déterminée qu’il s’agit de renouveler régulièrement. Les morceaux sont réellement payés aux grands distributeurs (à un prix réduit et tenu secret), qui est financé par les annonceurs versant une cotisation au site en fonction du nombre de messages publicitaires visionnés. Enfin, contrairement aux internautes adeptes du téléchargement illégal (majoritairement des hommes de 19 à 30 ans), les principaux utilisateurs de Beezik sont des adolescents mais aussi des femmes entre 30 et 40 ans (appréciant une offre gratuite et légale), très appréciées des publicitaires et reconnues comme les plus fidèles au service. ** Un modèle d’avenir?** Le modèle d’affaires de Beezik est d’ores et déjà, selon son président, profitable. Le nombre de visiteurs ne cesse d’augmenter et toutes les parties prenantes semblent y trouver leur compte. L’utilisateur obtient sa musique gratuitement, l’annonceur est sûr que sa publicité sera visionnée et les maisons de disques, même si elles offrent leurs catalogues à prix réduit, sont tout de même rémunérés. Ce système devrait s’étendre rapidement à d’autres zones géographiques dès qu’il aura prouvé sa solidité sur le long terme.

D’autres initiatives du même genre commencent aussi à apparaître. Ainsi, le géant Microsoft envisage d’utiliser ce système pour proposer gratuitement son nouveau logiciel Office Starter, le remplaçant de Works qui sortira simultanément à Office 2010. Ici, le dispositif publicitaire sera intégré au logiciel. Les messages publicitaires tourneraient toutes les 45 secondes et concerneraient, pour commencer, des autopromotions pour Office, dans le but d'inciter les utilisateurs à acheter la version complète du logiciel. Contrairement à Google, ces publicités ne seraient pas en rapport avec le contenu des documents ouverts au moment de leur affichage afin de ne pas éveiller la méfiance des utilisateurs, inquiets de l'usage que fait Google de leurs données personnelles.

Finalement, ce concept pourrait révolutionner la production audiovisuelle et sa distribution ces prochaines années. Le besoin croissant de financement et la chute continue des ventes via les canaux traditionnels et payants vont forcément pousser les différents acteurs à se rapprocher de nouveaux modèles innovants et capables d’attirer les jeunes consommateurs qui se sont éloignés d’eux. Le modèle alliant production audiovisuelle et publicité, ne se limiterait plus seulement à l’intégration de produits dans le contenu. Dans ce système la distribution serait totalement repensée et assujettie aux annonceurs, mais cela reste encore de la science-fiction… d’accord avec 2 des 4 grands distributeurs (ce qui a limité son catalogue) et handicapé par une limitation de l’utilisation du contenu sur certaines plateformes (ce qui a pu mener à l’abandon du service par de nombreux utilisateurs), le site n’a pas connu le succès escompté et a fait faillite en 2009.