Quand les six syndicats culturels ont sorti leur manifeste «L'Art est humain», j'ai tout de suite voulu voir ce qu'ils avaient à dire. Pourquoi ça nous concerne, nous, les gens de com? Parce que les artistes sont nos collègues, nos partenaires. Leurs préoccupations sont légitimes.

On est d'accord sur le fond : l’art est humain, et il faut protéger les créateurs.

Mais ce qui m'a dérangé, c’est cette opposition constante entre l'IA et la création humaine. Le ton est très alarmiste, on parle de «pillage», de «menaces». C’est ironique, parce que si on regarde l’histoire, les artistes ont toujours été les premiers à s'emparer des nouvelles technologies. C'est une relation symbiotique.

Est-ce qu'on est réellement menacé?

Le manifeste demande : «Avons-nous décidé [...] de courir le risque de voir la souveraineté de notre culture [...] menacée?». Je me pose la question inverse. Mon impression, c'est que l’IA peut aussi démocratiser la création. J’ai de la difficulté à faire la corrélation entre l'IA et une menace pour notre culture.

En lisant ça, je n'ai pas pu m'empêcher de me demander: est-ce que les syndicats ne sont pas un peu en mode survie? On parle de disparition des emplois, mais des études disent le contraire. Le rapport du Forum Économique Mondial est clair: on prévoit un gain net de 78 millions de nouveaux rôles d'ici 2030. C'est une réorganisation, pas une annihilation. Si tous les rôles changent, alors pourquoi pas ceux liés à la création?

Le vrai débat : le sampling et l’argent

Le point sur l'utilisation des œuvres sans consentement est valide. Mais soyons francs. Les chiffres le disent : selon le Conseil des arts du Canada, 60% des artistes professionnels n’arrivent pas à vivre de leur art, et une autre étude montre que 90% des œuvres déposées ne génèrent jamais de revenus. La majorité des œuvres, même si elles valent la peine d'être protégées, n'ont pas d'incitatif économique à être copiées à grande échelle.

Pour moi, ça ressemble beaucoup au débat sur le sampling en musique. On veut empêcher l’IA de s’entraîner sur nos créations, mais est-ce que c'est même possible de vivre dans un monde sans cette forme de "sampling"? Une rétribution en mode sampling serait définitivement plus utile qu’une approche de résistance.

La bonne approche: élever le créateur

Le manifeste dit qu'il faut prendre le temps de réfléchir. Ma question, c'est: est-ce que le temps joue contre nous?

L'IA peut, au contraire, nous permettre d'élever les créateurs. On pourrait avoir besoin de moins de techniciens, moins de logistique, et mettre l'argent beaucoup plus dans la création pure. Finalement, ce qui devient rare prendra de la valeur: une photo qui est vraie, une tournure de phrase propre à quelqu'un...

Mais au-delà de ça, peu importe l'outil, la vraie question n’est pas: «Est-ce humain ou pas?». C’est: «Est-ce bon? Touchant? Utile pour le public?». Car il ne faut pas l’oublier, on fait ça pour le public d’abord et avant tout. C’est lui qui paye, c’est lui qui arbitre.

Le fondement du manifeste est juste, mais j'ai l'impression que ce n'est pas le bon projet. Il faut faire attention de ne pas contraindre les artistes à un «désert numérique». La solution, ce n’est pas de se barricader. C’est d'ouvrir un vrai chantier de formation, de reconversion et de montée en compétence pour que nos artistes s'approprient ces outils et en deviennent les maîtres.

Poursuivre la conversation

Mon intervention souhaite ouvrir une conversation sur la place des créateurs à l’ère de l’IA. Si le sujet vous passionne, je vous invite également à regarder la conversation que j’ai eu avec Elias Djemil lors du podcast en direct IA & Sandwich: https://www.linkedin.com/posts/grenier-aux-nouvelles_live-17-juin-activity-7340773459444031491-Vodl