Elle est presque passée inaperçue, ça va tellement vite. Entre les tarifs de Trump et les élections fédérales au pays, n’eût été d’un bref article de La Presse au début du printemps 2025, peu nombreux sont ceux et celles qui ont vu passer la mort de ProMédia. Une mort qui est passée en douce, mais qui a sûrement provoqué son lot d’émotions chez ceux qui ont porté cette école à bout de bras. Cette nouvelle qui, au fond, n’en est peut-être pas une, ou à tout le moins en intéresse peu pour avoir reçu si peu de couverture médiatique. Qui peut bien s’intéresser à cette annonce ? Probablement les gens qui y sont passés (nostalgie oblige) et qui se sont prononcés sur Facebook relatant un beau souvenir de leur passage à cette école qui bourdonnait surtout en soirée ; les cours se donnaient (au sens figuré) entre 18 h et 23 h 30.
J’ai suivi le cours qu’offrait ProMédia en février 2011. Je me rappelle très bien y avoir mis les pieds pour la première fois quelques semaines auparavant. C’est qu’on devait passer une sorte d’audition (pour valider le sérieux de notre démarche ou voir que l’on a la vocation, j’imagine) avec le directeur pédagogique de l’époque, Stéphane Leduc. J’étais nerveux, mais mon instinct m’y avait guidé et je me sentais mûr pour ce genre de formation que je courtisais depuis un bon moment. J’avais déjà suivi deux cours du soir en écriture à l’ENH (École nationale de l’humour), mais je désirais une belle incursion dans les communications des médias. J’entends encore le grincement de la porte du hall de l’édifice à bureaux ; typique du centre-ville, rue Sainte-Catherine tout près de la rue Peel.
Une fois au 7e étage, on entre dans l’entrée où une affiche rouge et noire ProMédia à la hauteur des yeux s’impose fièrement. Dès qu’on y pose les pieds, tout de suite on sent une ambiance feutrée et chaleureuse. Des couleurs foncées et un éclairage chaud dessinent l’atmosphère ; enfin, c’était comme ça à l’époque où je l’ai fréquentée. Après avoir complété ma formation, je suis resté comme technicien pour les deux sessions qui ont suivi, jusqu’au jour où un poste d’animateur s’est libéré dans une radio de la Baie-des-Chaleurs : CIEU FM.
1 locomotive, 2 soirs par semaine pendant 5 mois.
Pour illustrer le déroulement de ce cours, c’est un peu comme si on embarquait dans un train quittant la gare avec une bonne accélération (assez pour vous décoiffer et faire revoler quelques-uns de vos effets personnels), puis qui atteignait sa vitesse de croisière à vive allure avant d’atteindre sa destination au bout de 5 mois. C’est vertigineux, c’est grisant, on se sent plus vivant que jamais. On y vit des émotions en montagnes russes et on en sort grandis, voire épanouis. Assurément, avec une assurance amplifiée. Dès le début du cours, on est jumelé avec d’autres étudiants pour former des équipes qui resteront ensemble jusqu’à destination. Or, le développement de l’esprit d’équipe est une importante notion que l’on enseignait à
ProMédia. Notons qu’au gala final, on m’a remis une mention spéciale pour « esprit d’équipe ».
À chaque semaine, l’intensité augmentait à mesure que le cours avançait. Nous en avions été informés au début, mais tsé comment c’que c’est ! Puis, vers les deux tiers du parcours, (et c’est sans doute le secret de ProMédia le plus moyennement gardé pour préserver l’effet de surprise) on est convié à la fausse entrevue avec le faux producteur faussement chiant. Un exercice plutôt perturbant pour nous amener à développer de bons réflexes devant un producteur aux méthodes peu orthodoxes et à l’attitude carrément déplacée. Il devait en avoir un certain nombre dans l’industrie à cette époque. J’ai trouvé pertinent de ne pas éclipser les autres aspects d’ordre plus relationnel comme cette fausse entrevue.
Un autre beau moment fut le week-end simulation d’émission de radio où chaque équipe vivait en temps réel une émission de radio en échangeant les rôles de chacun. Jacques Marsan était impitoyable pour les étudiants qui arrivaient en retard. Hawww, la ponctualité… comment dire… c’est une règle de base que certains étudiants ont apprise à la dure. Les simulations étaient exigeantes et souvent difficiles. On nous mettait nos quatre vérités en pleine face. On nous jugeait et on recevait des critiques parfois dures sur nos (la plupart du temps très mauvaises) performances au micro ou à la caméra.
À certaines occasions, ça frôlait l’humiliation, si votre caractère était, disons, plus ou moins fragile. On devait travailler, se préparer et recommencer pour s’améliorer. Un commentaire récurrent chez les étudiants qui sont passés par cette école : « ProMédia m’a transformé ». C’est une affirmation qui fait sens et que j’ai expérimentée avec plaisir.
C’est tout de même un privilège, je l’imagine, de prendre des groupes de gens, imparfaits, vulnérables, avec beaucoup ou trop peu d’égo ou d’ambitions, jouer avec leurs tempéraments, leurs caractères, leurs aspirations, puis leur montrer le travail, la rigueur, la vigilance, les bousculer un peu, parfois pas mal, leur présenter des miroirs, une réalité parfois dure, et en cinq mois, leur offrir les outils nécessaires pour qu’ils trouvent en eux la confiance nécessaire à déployer leurs ailes et à faire d’eux de bons communicateurs média.
Ce n’est pas seulement une question d’apprendre une matière et des techniques, c’est beaucoup plus complexe : les enjeux sont d’ordre personnel, relationnel, ils sollicitent l’estime de soi, les blessures d’enfance qui remontent à la surface et on les reçoit en pleine face. Toute cette expérience est extraordinairement belle et riche et nous est utile chaque jour de notre vie. Quand on sait combien coutent les services d’un psychologue aujourd’hui, finalement, 4 500 $ pour le court, c’était une aubaine !
Le marché n’est plus au rendez-vous
Dans une certaine mesure, la fermeture de ProMédia témoigne bien de notre époque. C’est une suite logique qui reflète l’air du temps dans lequel nous évoluons. Aujourd’hui, les façons de travailler, de communiquer et d’apprendre ont changé. Les repères d’hier font place à de nouvelles réalités, où la rapidité, la polyvalence et la spontanéité occupent une place importante.
Les qualités que ProMédia valorisait — le travail rigoureux, la ponctualité, le soin apporté à la langue et à l’expression claire — sont toujours précieuses, mais elles se manifestent désormais différemment, dans un contexte en constante évolution. Dans cet univers où l’on produit beaucoup, rapidement, la créativité prend de nouvelles formes et s’ouvre à une diversité plus grande.
Depuis quelques années, les inscriptions à ProMédia déclinaient. Même constat du côté du programme d’Art et technologie des médias (ATM) de Jonquière. Selon un article publié par La Pige en avril 2024, le taux d’inscriptions en techniques de production cinématographiques et télévisuelles (TCT) à l’automne 2024 a chuté de 17 %, représentant une baisse de 36 demandes par rapport aux années précédentes. Pour le programme de technique de communication dans les médias (TCM), le déclin est encore plus marqué avec une diminution de 20 %, soit 41 demandes d’admission en moins.
La mort de ProMédia signe la fin d’une époque, mais ouvre aussi une réflexion sur l’avenir. Une nouvelle génération de communicateurs émerge, façonnée par d’autres outils, d’autres approches, d’autres aspirations. Peut-être verrons-nous des reportages préparés par l’intelligence artificielle, ou des applications capables de livrer des contenus en continu.
Aujourd’hui, il est possible, avec un équipement minimal, de lancer son propre balado ou d’animer ses projets à la radio, à la télévision ou en ligne. Cette démocratisation des communications donne la parole à un éventail plus large de créateurs. Si la maîtrise des règles traditionnelles n’est plus systématique, l’essentiel demeure : transmettre, faire vibrer, créer des ponts.
L’époque change, les outils évoluent, mais l’essence de la communication, elle, reste la même : toucher l’autre, créer du lien, faire vivre des histoires. ProMédia nous lègue plus qu’une formation : elle nous rappelle l’importance d’honorer ce métier.
Jean-François Roy, amoureux du son
Cactus production sonore