La trop grande humilité (ou modestie) et le manque de recul sont sans doute les fardeaux les plus lourds que doivent porter les chercheurs d’emploi. Ces facteurs ont un impact sur l’ensemble de leur façon de se représenter, mais ils nuiront plus particulièrement à la rédaction du curriculum vitae, où, plusieurs hésiteront par exemple, à utiliser des qualificatifs élogieux pour décrire leurs compétences et leur niveau de connaissance d’une matière. Comme ce document constitue généralement le premier aperçu qu’un employeur a d’un candidat, on comprendra que le candidat a pourtant avantage à aller au-delà du document d’information, pour plutôt produire un outil de vente, afin d’inciter le lecteur à le convier à une entrevue.
Souvent, lorsque je propose une formulation plus évocatrice de leurs talents réels ou suggère d’énoncer leurs réalisations de manière plus explicite de leur contribution spécifique, mes clients hésiteront tout d’abord, par crainte d’avoir l’air vantard, ou présomptueux. Pourtant, lorsque je leur demande de m’indiquer ce qui est inexact dans le contenu présenté, ils ne sont généralement pas en mesure d’y trouver erreur, c’est pourquoi je parviens habituellement à les convaincre qu’il est préférable qu’ils soulignent posséder «une solide capacité à ____ », «une maîtrise de ______» ou une «bonne connaissance de_______» à une liste dénuée de qualificatifs de leur acquis professionnels.
À cet égard, mes clients qui œuvrent dans le domaine des communications sont souvent d’ailleurs des cordonniers mal chaussés: alors qu’ils gagnent leur vie à présenter des gens, des services ou produits dans une lumière favorable, lorsqu’ils doivent eux-mêmes se représenter, ils paraissent craindre le feu des projecteurs. Parce qu’ils sont d’autant plus conscients de l’importance de l’image qui est véhiculée par les contenus présentés, ils en deviendront quasi paralysés. Ils seront si soucieux d’éviter que l’on croit qu’ils font un étalage indu de leurs atouts, qu’ils en viendront souvent à produire un curriculum vitae lisse et fade qui ne trahit en rien leur personnalité, parce que le manque de recul fait en sorte qu’ils ont peur de ne pas trouver le ton ou le mot juste.
Pour les décoincer je leur suggère alors d’aborder la rédaction de leur curriculum en plusieurs étapes. En premier lieu, je leur demande de mettre de côté toute considération relative à la forme ou la longueur que devra éventuellement prendre le cv, pour rédiger tout au long, le récit de leur parcours professionnel, en détaillant les expériences, ponctuelles ou continues qui ont été les plus significatives pour eux.
Ensuite, j’amène le candidat à préciser ses bons coups, les compétences, talents, aptitudes et qualités qu’il a mis en œuvre afin de les réaliser, puis à décrire ses façons de faire et façons d’être au travail. Enfin, je lui demande de rédiger un document qualifiant sa candidature en relation avec les responsabilités et exigences décrites dans quelques affichages de postes auquel il s’intéresse. Pour l’ensemble de l’exercice j’insiste pour qu’il s’exprime le plus naturellement possible, avec, lorsqu’à-propos, tout l’enthousiasme, l’éloquence ou la folie que lui inspire le souvenir de ses projets les plus passionnants ou la perspective d’un emploi qui l’emballe.
Cet exercice permet de rassembler le contenu nécessaire pour la rédaction du curriculum vitae et s’avère aussi une excellente préparation de base aux entrevues, puisqu’il force le candidat à se remémorer l’ensemble de sa carrière et préciser son offre professionnelle. Le long document qui en résulte servira de base pour la rédaction du curriculum vitae: lorsque j’assiste un candidat pour la rédaction de ses outils de recherche d’emploi, c’est à partir de la « base de données » qui est produite par cet exercice que je peux créer une nouvelle ébauche du curriculum vitae, pour permettre au candidat de se voir à travers mon œil de recruteur «défroqué». Je ressens toujours beaucoup de satisfaction lorsqu’un candidat réagit par un dubitatif «Wow, c’est moi ça», puis après une lecture rigoureuse, me dit se sentir confiant que son curriculum vitae le représente de façon juste et optimale.
C’est le recul qui me permet de développer ce document, de retirer l’essentiel d’une masse importante d’information, d’en faire une synthèse, de sélectionner le plus pertinent et le plus percutant du lot pour le mettre en valeur.
Quand il ne s’agit pas d’eux, lorsqu’ils ont le recul nécessaire, tous ceux qui manient la plume (ou plutôt de nos jours le clavier!), ceux qui produisent des textes et créent des documents pour gagner leur vie, sont en mesure de produire un curriculum vitae efficace, quand ils ont accès à de l’information détaillée. Alors la solution pour les professionnels des communications serait peut-être la rédaction de cv en tandem?
Fait cocasse, en passant, à plus d’une reprise à travers les années, j’ai vu des candidats du domaine des communications être embauchés après avoir expédié par erreur la version déjantée de leur curriculum vitae qu’ils avaient élaborée à travers cet exercice. Je ne leur aurais probablement pas recommandé d’envoyer ce document, mais dans leur cas, le naturel a su séduire!