Je suis l'animateur du podcast «Les Engagés Publics», un espace où on lutte contre le cynisme et où on célèbre l'engagement en politique et en société. Nous essayons humblement de réfléchir aux façons de défaire les nœuds qui étouffent notre démocratie, notamment dans les relations tumultueuses entre le pouvoir et les médias. Ce qui m’amène à vous parler d'une histoire qui m'a profondément touché, celle de Paul St-Pierre Plamondon, chef du Parti Québécois. Son expérience récente soulève des questions cruciales sur l'éthique des médias, qui nous concernent tous.

Paul St-Pierre Plamondon a reçu des menaces de mort sérieuses. Imaginez un instant le poids de cette réalité, pas seulement sur lui, mais aussi sur sa famille. Lors d'une conférence de presse, submergé par l'émotion, il a laissé paraître sa vulnérabilité. Un moment humain, profond, que je trouve non seulement compréhensible mais aussi respectable. Un accord tacite aurait été conclu avec les journalistes présents: ces images, ces fragments d'humanité brute, ne seraient pas diffusés. Pourtant, cet accord a été brisé. Les images ont été publiées.

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Cet acte pose une question fondamentale: où est la vraie valeur dans ce choix éditorial? Comment justifier de mettre en lumière ces moments de fragilité? Certains argumenteront la nécessité de montrer l'impact des menaces de mort pour en démontrer la sévérité. Envisager de révéler ces moments de fragilité nous pousse alors à réfléchir sur l'équilibre fragile entre informer le public et respecter la personne exposée. C'est une situation qui montre clairement le dilemme entre le besoin de vérité et la nécessité d'une approche éthique et sensible.

La prudence face au sensationnalisme est d’une importance fondamentale parce que cette course à l'émotion au détriment de l'information érode la confiance du public et appauvrit le débat politique. Quand les médias exposent des vulnérabilités non pas pour éclairer mais pour captiver, ils flirtent avec les limites de l'éthique journalistique. Aujourd’hui l'intrusion dans la vie privée, exacerbée par le numérique, devient une norme inquiétante qui ébranle les fondements éthiques du journalisme et la motivation à s’engager en politique. En effet, les personnalités politiques sont maintenant effrayées de se voir réduites à de simples objets de spectacle et de voir leur humanité diminuée.

«Les personnalités politiques sont maintenant effrayées de se voir réduites à de simples objets de spectacle et de voir leur humanité diminuée.»

Ce qui a attiré mon attention fut la réaction précipitée, peut-être trop, de l'éditeur adjoint de La Presse face à la déclarations de Paul St-Pierre Plamondon sur les réseaux sociaux. En brandissant rapidement la défense des principes de la liberté de presse il semble, hélas, passer à côté de la question soulevée par Paul St-Pierre Plamondon.

Sa réaction met l'accent sur le rôle crucial d'une presse indépendante capable de rapporter les événements fidèlement sans céder aux exigences des individus mis en lumière, soulignant ainsi l'engagement des médias envers le bien public, alors que Paul St-Pierre Plamondon pointe simplement du doigt une promesse non respectée. Je pense qu’il est important de reconnaître que les préoccupations exprimées par Paul St-Pierre Plamondon dépassent largement le cadre de simples caprices de politiciens désirant contrôler «le narratif». Dans ce contexte, la prise de position de l'éditeur adjoint aurait peut-être dû davantage questionner les journalistes qui ont accepté une entente de confidentialité dans le feu de l’action. Ces derniers auraient pu ainsi s'éviter un cas de conscience professionnelle et, à Paul St-Pierre Plamondon, une surprise on ne peut plus désagréable.

«La critique des pratiques journalistiques n'est pas un acte de censure»

Maintenant, avant d’être exposé moi-même aux foudres des egos, j’aimerais préciser que la critique des pratiques journalistiques n'est pas un acte de censure, mais un élément vital pour l'intégrité de la presse. Interroger les décisions éditoriales invite à une introspection nécessaire sur le rôle des médias dans notre société. Ce dialogue critique est essentiel pour maintenir un équilibre entre le droit à l'information et le respect dû à chaque individu. Sans cette remise en question, les médias risquent de devenir des vecteurs de sensationnalisme qui érodent la confiance publique et dévaluent le débat démocratique. (Heureusement ceci est impossible au Québec, n'est-ce pas ?) La capacité à critiquer, à débattre, et à remettre en question est donc un droit mais aussi une nécessité pour une presse responsable.

Les réactions défensives systématiques face aux critiques, souvent perçues comme des attaques plutôt que comme des remises en question constructives, mettent en lumière une sensibilité excessive et un refus de l'introspection au sein de certains milieux journalistiques. Cette réactivité émotionnelle empêche l'enrichissement du débat public et dévie inutilement les discussions de l’essentiel. Dans une société démocratique, les médias doivent pouvoir être critiqués sans que cela soit vu comme une remise en question de leur légitimité.

«Les pouvoirs qui se mettent à l'abri des critiques posent invariablement des problèmes pour l'intérêt public.»

Comme le souligne un ami ayant une certaine expérience comme chef de cabinet, les pouvoirs qui se mettent à l'abri des critiques posent invariablement des problèmes pour l'intérêt public. Les médias, qui sont censés constituer un contre-pouvoir, ne devraient pas déroger à cette règle.

Cette histoire est un rappel de l'importance d'un journalisme qui doit savoir naviguer entre le devoir d'informer et le respect de l'humain, tout en étant réceptif aux critiques. Et j’ai l’impression que c'est dans cet esprit d'équilibre, de responsabilité, et d'ouverture que les médias pourraient le mieux servir l'intérêt public et solidifier les bases de notre démocratie.

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Denis Martel (denismartelstrategie.ca)
Stratège numérique et animateur du balado Les Engagés Publics