On peut tuer une idée, une improvisation et même un brainstorm avec un seul non. (Même en rajoutant un mais). Pourquoi? Parce qu’être créatif demande avant tout de se mettre en «état d’intuition», état qui requiert des dispositions neurologiques particulières que vient complètement chambouler un simple non. La règle de base de l’improvisation théâtrale, le «Oui et» (qui veut dire accepter et construire) gagnerait à s’immiscer davantage dans nos milieux professionnels. Voici pourquoi.
Mise en situation
Il est 10h, vous en êtes à votre deuxième café. Ça bourdonne à l’agence depuis très tôt ce matin. Vous en êtes à l’étape d’idéation d’un gros projet. Comme toujours, les délais sont serrés, vous devez trouver une idée géniale rapidement. Le brainstorm commence. Sans jeu, sans réel début, un peu à froid. GO. Des gens osent, fébriles, sortir quelques idées. Vous n’osez pas. Vous avez les mains moites, c’est un peu stressant.
Vous devez performer maintenant, dire quelque chose de minimalement pertinent, créatif, amusant. Vous vous avancez, vous osez sortir une idée encore toute naissante, sans trop savoir si c’est réellement bon. Sans trop y réfléchir, en vous inspirant de ce que vous venez d’entendre des autres. Vous lancez votre idée avec le regard vulnérable d’un bébé alpaga.
Et on vous dit non. «Non, ça, ça ne marche pas, on ne peut pas faire ça pour X raison». Paf. Malaise, retour du regard fragile de bébé alpaga, et fin de l’exploration.
Alors, dites-moi, avez-vous envie de continuer à essayer de trouver l’idée géniale et de vous mettre un peu à nu avec vos idées naissantes? Ben non.
Le cerveau et le « non ».
Mais en quoi ce «non» peut être anti-productif? En fait, il nuirait carrément à notre créativité, en activant des zones de notre cerveau qui devraient être inhibées durant l’exploration: les zones correspondantes aux mécanismes de la censure et de la planification.
En effet, deux études passionnantes portant sur les neurosciences et la créativité nous confirment qu’on doit se mettre dans des conditions physiques particulières pour improviser, et que le «non» vient nuire à notre capacité à être en état d’intuition.
Deux études, un même constat
Une première expérience est menée par le neurochirurgien et chercheur en créativité Charles Limb¹ en 2007 sur un groupe de comédiens et de musiciens de jazz. Les artistes devaient interpréter une partition ou un texte appris, puis devaient se lancer dans une improvisation. Pendant cette expérience, leur activité cérébrale était analysée par IRM. Les chercheurs pouvaient alors observer les régions cérébrales qui étaient activées et désactivées lorsque le sujet devait improviser.
Les spécialistes en neurosciences Liu et Braun, ont également observé par IRM les régions cérébrales activées et désactivées d’improvisateurs en action, mais cette fois sur le cerveau de 12 rappeurs en plein freestyle².
Les conclusions de ces deux études sont les suivantes: pendant une activité improvisée, la zone médiane (zone qui correspond au mécanisme de l’intuition) est activée alors que les zones orbitofrontale (mécanisme de la censure) et dorsolatérale (mécanisme de la planification) sont inhibées.
Pour faire de la création spontanée, on active l’intuition en inhibant la planification et la censure.
Et c’est (entre autres) pour cette raison que la règle du «Oui et» est aussi pertinente. Parce que le «non» nous renvoie, de façon assez drastique, à ce mécanisme de censure que l’on cherche à éviter. En se faisant juger sur une idée, une tentative, on cherche ensuite à se censurer, à se protéger, pour éviter de se mouiller à nouveau et d’essuyer un revers ou un refus.
La règle du «Oui et» est une règle fondamentale en improvisation théâtrale parce qu’on est dans l’instant, dans le spontané, dans le vide, on cherche sans arrêt. Le «oui et» veut dire accepter et construire. Accepter l’idée de l’autre (même quand on s’en allait vraiment ailleurs) et construire dessus (en essayant de s’amuser avec l’idée).
Ça ne veut pas dire qu’on adore n’importe quelle idée d’emblée, mais ça valide la tentative de l’autre et ça montre qu’on est à l’écoute. Et puis neurologiquement, ça permet de désactiver la censure et permet à l’intuition d’être plus libre, d’être pleinement activée.
Donc pour protéger les idées fragiles, et en encourager d’autres à naître, essayer un peu plus de Oui et que de non, mais.
Ce qu'il faut retenir
On peut tuer une idée, une improvisation et même un brainstorm avec un seul non. (Même en rajoutant un mais). Pourquoi? Parce qu’être créatif demande avant tout de se mettre en «état d’intuition», état qui requiert des dispositions neurologiques particulières que vient complètement chambouler un simple non. Règle de base de l’improvisation théâtrale, le «Oui et» (qui veut dire accepter et construire) gagnerait à s’immiscer davantage dans nos milieux professionnels pour protéger les idées fragiles, et en encourager d’autres à naître.
Cette chronique provient du site web de Perrier Jablonski et a été écrite par Amélie Geoffroy.
Gaëtan Namouric + MidJourney (5.2)
¹https://www.ted.com/talks/charles_limb_your_brain_on_improv
²http://www.slate.fr/lien/65137/cerveau-rappeurs-improvisation-freestyle#:~:text=Siyuan%20Liu%20et%20Allen%20Braun,les%20chercheurs%20et%20les%20r%C3%A9citer.
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