Elle dégageait une confiance impressionnante du haut de ses sept ans. Ses nouvelles bottes de cowboy en jeans parfaitement agencées à sa jupe de denim étaient garanties d’attirer l’attention des bonnes personnes grâce à leur clic-à-clac signature sur l’asphalte de la cour d’école, résonant un «je suis cool, je suis cool, je suis cool» à chaque pas. Elle avait pensé à tous les détails de sa mission: elle approcherait la chef de la gang des filles populaires de l’école qui se tenait toujours près de la glissoire, elle remarquerait ses bottes, ses mains monteraient à sa bouche en excitation face au denim parfaitement délavé et son look radical, et immédiatement elle emporterait sa nouvelle amie socialement-haut placée avec elle vers un futur rose où elles chanteraient en chœur du New Kids on the Block (précisément Cover Girl) en se balançant en parfaite synchronisation pour le reste de leurs jours. Son statut social serait sécurisé et la nouvelle année scolaire dans son nouveau pays d’accueil américain serait géniale.

Malheureusement, ce que Rachelle-de-sept-ans ignorait était que l’acceptation dans un groupe, ça ne se passait pas comme ça, sauf dans les émissions spéciales d’après l’école, surtout pas quand tu viens d’ailleurs. En réalité, la chef des filles populaires avait déjà été mise sur ses gardes dès qu’elle a aperçu l’énergie excitée-nerveuse de la fille aux drôles de cheveux, au sourire énorme, et à l’accent bizarre. Rachelle-de-sept-ans n’avait aucune chance: elle avait déjà, en une fraction de seconde, été catégorisée comme rejet du groupe et se mériterait des jambettes au moins une fois par semaine pour le restant de l’année. Même avec ses bottes de cowboy «écœurantes» et ses choix de musique extraordinaires.

C’est un des moments où j’ai découvert la complexité des codes sociaux et culturels qu’on doit décoder lorsqu’on tente de se joindre à un nouveau groupe, comme une nouvelle entreprise ou une nouvelle école primaire, par exemple.

Depuis des millénaires, lorsque l’homo sapiens joint une nouvelle communauté, son cerveau est programmé pour déployer tous ses sens, afin de catégoriser rapidement et mesurer le degré de sécurité et de risque dans le groupe: il identifie les alphas et les betas, les allié·es potentiel·les, les codes vestimentaires, les langages verbaux et non verbaux, les yeux et les sourires, les rituels culturels du groupe en question, et tellement plus. Suffit d’écouter un épisode de l’émission Tribal du psychologue aventurier Guillaume Dulude pour voir ce phénomène en action: de la façon dont le·la nouveau·elle approche le groupe, les cadeaux qu’il·elle apporte, la vénération envers le ou la chef, le silence, le sourire discret tentatif — chaque mouvement est calculé et ajusté afin de démontrer qu’il·elle n’est pas un risque et mérite d’être accueilli·e dans le groupe qu’il·elle approche, tout en assimilant le plus d’information possible et en adaptant son approche.

Les premiers moments d’accueil d’une nouvelle personne dans l’équipe influencent directement son taux de probabilité d’acceptation dans le groupe et son taux de succès à long terme dans l’équipe. Le onboarding dans un nouveau groupe est donc un moment crucial pour une équipe autant que pour la nouvelle personne. C’est à ce moment où les membres plus anciens de l’équipe ont la chance de répéter la tradition orale de l’Histoire du groupe avec les nouveaux·elles, ses codes culturels particuliers, ses rituels, les aider à naviguer les sous-groupes et les cliques et afin qu’il·elles trouvent la leur, on y partage les valeurs et les règles uniques, et les inside jokes. On les invite à dîner avec une clique possible, on leur présente des allié·es potentiel·les, on l’introduit aux chef·fes, et on les outille pour le succès.

Qu’il soit virtuel ou en personne, un bon onboarding dure toujours plus qu’une seule journée, au minimum une semaine, en moyenne trois mois, et doit maximiser le temps face à face avec une diversité des membres de la nouvelle équipe (brisez les silos et les plafonds de verre!) afin de donner le plus de chance de succès d’acceptation mutuelle du nouveau membre.

Si on veut réellement investir dans le sentiment d’appartenance de nos membres de communauté, par contre, on doit aller plus loin.

Dans son livre The Culture Code, l’auteur Dan Coyle propose qu’il y ait trois signaux clés nécessaires afin de déclencher un sentiment d’appartenance fort à un groupe hyperperformant.

  1. Investir une énergie réciproque
  2. Individualiser les interactions
  3. Projeter dans le futur

Quand on parle d’énergie réciproque, on dit que l’attention et les actions faites envers les membres doivent être équivalentes à l’énergie qu’on demande aux membres d’investir à même le groupe. Vous voulez une équipe dynamique qui se parle avec respect et transparence? Comme leader, vous devez donc investir un même degré de respect et transparence envers eux. Vous voulez qu’ils participent aux activités de groupe? Vous êtes mieux d’y être. Vous voulez qu’ils viennent vers vous? Allez vers eux.

Par individualisation, on parle surtout de l’importance d’apprendre à connaître et valoriser les individus dans le groupe, pas juste le groupe en tant que tel. Qu’est-ce que la personne aime manger pour dîner, a-t-elle des enfants et quels sont leurs noms? Est-ce que telle collègue est allergique aux chiens? Quel talent spécial cache la comptable? Est-ce qu’elle prend du lait d’avoine dans son café? Ces questions sont importantes pour le leader sociable, mais ce qui est encore plus important, c’est de créer le temps et l’espace pour que les individus dans le groupe découvrent les réponses aussi. Donner la chance à nos collègues de partager et écouter leurs histoires individuelles est la première étape d’une culture hétérogène (ou diverse, inclusive et empathique).

«Avec toi dans notre équipe, notre futur est excitant.» Une phrase qui détient plus de pouvoir que vous le croyez. Projeter un nouveau, ou moins nouveau, membre d’équipe dans votre vision du futur lui donne la confiance qu’il pourra s’épanouir et contribuer à cette vision. Le cerveau aime ça, ce type de réassurance. Ça diminue les hormones de stress omniprésentes presque instantanément et ça augmente l’ocytocine, l’hormone de l’appartenance. La mission du·de la leader est de répéter ce message régulièrement, rehausser l’image du futur dans lequel on se projette, et s’assurer que chaque membre se voit dans cette vision qu’il co-construit avec le leader.

Lorsque les trois signaux sont déclenchés, ce que le membre retient est la phrase la plus importante pour le cerveau humain: «Tu es en sécurité ici.» Peu importe d’où tu viens, peu importe l’épaisseur de tes cheveux ou l’accent qui colorie ton français, tu appartiens.

Alors, si je pouvais réécrire la scène pour Rachelle-de-sept-ans, elle aurait l’air de ceci:

Rachelle, dit l’enseignante de classe, je te présente Lori. Tantôt, je t’ai entendue fredonner du New Kids on the Block et je sais qu’elle adore Joey McIntyre. Je pense que vous vous entendriez pas mal bien.

— Ah oui!? Allô, Lori! Joey c’est mon préféré aussi.

— Allô Rachelle! Il est teeelllement beau!!!!

— Les filles, pourquoi vous allez pas vous balancer ensemble pendant la récré?

— Ok!

— OK! (Rachelle crie intérieurement d’excitation.)

Plus tard dans la cour d’école alors que les filles chantent «OH OH OH YOU’RE MY COVER GIIIIRL» à tue-tête, Lori dit les mots que Rachelle attend d’entendre depuis le début de la journée.

— J’adore tes bottes!!! Veux-tu être mon amie? On pourrait dîner ensemble proche du module de jeu tous les jours. Pas à côté des glissoires, par exemple, c’est là où Meaghan amène les rejets pour se faire battre. Surtout celles qui osent l’approcher pendant qu’elle parle de son chum imaginaire.

(P.-S. Si vous avez lu mon dernier billet sur les types de relations dans une communauté, quel type de mise en relation est-ce que l’enseignante met en action dans cette scène?)

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