Le monde physique et le monde numérique sont de plus en plus étroitement liés
De tous les moyens de communication inventés par l'humanité au cours des siècles, aucun n'a diffusé autant d’information et à une telle vitesse qu'Internet. Il est à la fois une force unificatrice et globalisante. Mais, comme ce rapport l'a soutenu, son ubiquité fait qu’il est aussi un moyen de communication très local, parce qu’il n’est clairement pas le même partout, que ce soit dans ce qu'il offre ou dans la façon dont il est géré et réglementé.
L'appareil intelligent a libéré son utilisateur de l'ordinateur sur son bureau, lui accordant un accès libre non seulement à des ordinateurs distants et à des amis perdus depuis longtemps de l'autre côté du monde, mais aussi aux lieux et services tout près, autour de lui. S'il vit dans une ville, comme la plupart des utilisateurs, il pourra bénéficier d’une quantité inimaginable de données précieuses provenant de ses pairs, des commerces, des immeubles, des voitures et des rues autour de lui. Et bien que les communications entre les continents soient maintenant très peu dispendieuses et accessibles, la proximité physique avec les autres reste importante dans la création de nouvelles idées et produits, surtout - et peut-être ironiquement - pour les entreprises offrant des services en ligne. Vous ne pouvez pas (encore) prendre un café ensemble en ligne.
Ce monde à la fois plus localisé et plus globalisé sera plus compliqué que l'ancien. Différentes règles continueront de s'appliquer aux bits/octets du cyberespace selon les pays. Monsieur Prentice de Gartner pense que trois forces fondamentales façonneront l'Internet mobile: le transport des données et le contenu disponible sur celui-ci, la demande des politiciens pour plus de contrôle, le désir des gens pour plus de liberté et la recherche du profit des entreprises. Il est possible d'imaginer des scénarios dans lesquels l'une de ces forces vient en tête, par exemple, un état «Big Brother» qui garde un œil attentif sur Internet et qui détermine qui peut faire quoi. Mais il est plus probable, dit Monsieur Prentice, que différentes combinaisons de ces trois forces prévaudront selon les endroits.
Ce qui semble certain, c'est que la vie en ligne deviendra plus locale sans devenir moins globale. Avec un appareil intelligent dans votre main, vous pouvez en savoir plus, si vous voulez, à propos de ce qui se passe immédiatement autour de vous. Le prochain autobus passera dans cinq minutes. Le café de l'autre côté de la rue, où vous n'êtes pas allé depuis quelques semaines, vous offre un cappuccino gratuit. Ces coussins que vous avez regardés en ligne sont disponibles au magasin du coin. Monsieur Hudson-Smith de l'UCL spécule à savoir que le appareil intelligent pourrait même aider à relancer le commerce local si les gens savaient qu'ils pouvaient ramener à la maison aujourd'hui ce qu’Amazon ne peut leur livrer que demain.
Rien de tout cela ne réduira la portée ou l'envie de reprendre la conversation avec ses amis, ou de lire les nouvelles et les histoires d’ailleurs. «La vérité est qu'il y a trois choses qui agiront en même temps», explique Danny Miller, un anthropologue à l'UCL. Il continuera d’y avoir «des possibilités sans précédent pour l'homogénéisation et la mondialisation», mais il y a aussi des grandes possibilités de localisation, comme Foursquare. Enfin, il y aura un nouveau localisme, grâce à un Internet intégrant les différences locales qui ne sont pas confinées à des endroits particuliers. Par exemple, les gens de Trinidad utilisent Facebook d'une manière distinctive afin de refléter les concepts locaux de scandale et de commérage. Mais parce que plus de la moitié des familles de Trinidad ont au moins un membre vivant à l'étranger, cette forme d'utilisation n'est pas liée seulement à la Trinidad; il pourrait tout aussi bien être adopté par les Trinidadiens vivant à Londres ou Montréal.
Une autre prédiction est que, comme les gens comptent de plus en plus sur les périphériques connectés afin d’explorer le monde physique, l'information numérique aura une influence croissante sur la façon dont ils voient le monde physique et sur la façon dont ils se déplacent à travers lui. Messieurs Graham et Zook, avec Andrew Boulton, également de l'Université du Kentucky, sont à rédiger un article à paraître: ce dernier sera l’extrapolation d’une soirée du samedi soir vécue par une jeune femme de Dublin. Une sorte de transposition numérique d’Ulysse écrit par James Joyce. Elle vérifie les textes et les tweets de son copain (où est-il?), passe près d’un bar (un de ses groupes préférés a déjà joué ici) et lève les yeux vers la critique d'un restaurant (qui semble excellent). Mais la ville qu’elle voit a été construite digitalement pour elle. Son petit ami lui envoie un texto pour organiser un lieu de rencontre. Elle connaît le groupe de musique à cause de ses récentes recherches en ligne qui lui ont donné plus d’information sur son appareil intelligent. Et le critique de restaurant n'est rien de plus que la somme des opinions des autres, livrée par voie électronique.
Tout ceci est sans danger, même utile, mais il y a un côté sombre à cela. Eli Pariser, un journaliste américain, a écrit l’article sur le «filtre bulle» par lequel ne sont présentées aux gens que les idées et les opinions qui sont en ligne et qui lui parviennent selon leur comportement en ligne, ce qui suppose qu'ils seront d’accord avec ces références. Comme ils vivront dans le monde physique à partir d’un cheminement dans le monde numérique, différents scénarios peuvent se produire. Être dirigé loin des zones de forte criminalité tard le soir n’est pas une mauvaise chose, mais ne pas être dirigé vers un musée ou un club parce que vous n’y êtes pas allé avant peut-être une occasion manquée. Être debout devant un monument et recevoir une version de l'histoire qui renforce vos préjugés ferme l’esprit plutôt que de l’ouvrir. Messieurs Graham, Zook et Boulton soulignent que Google fournit des informations très différentes sur le soldat de bronze de Tallinn selon que la recherche soit effectuée par un Estonien ou un Russe.
Pourtant, dans l'ensemble, c'est sûrement une bonne chose pour le numérique et le monde physique de devenir de plus en plus imbriqués. Ils sont complémentaires et l’un ne remplace pas l’autre. La superposition numérique, en effet, peut permettre aux gens de voir non seulement à travers les murs (qu’est-ce qu’il y a dans cette boutique?) et autour d’eux dans leur quartier (y a-t-il un taxi à proximité?), et même à travers le temps (qu’est-ce qui s'est passé ici en 1945?). Chaque univers à lui seul est fascinant. Ensemble, ils sont irrésistibles.
*Traduction/adaptation de l’article The new local paru dans le cahier spécial Technologie et Géographie- The Economist du 27 octobre 2012