Ayant œuvré pendant 20 ans comme travailleuse sociale dans le grand réseau de la santé, Chantal Dufort a soutenu, épaulé et fourni de l’aide professionnelle à des milliers de personnes, particulièrement en matière de santé mentale.
Aujourd’hui, en tant qu’agente d'optimisation de la santé mentale en entreprise, elle accompagne maintenant les organisations ayant le désir de prendre soin de la santé mentale de leur personnel en démystifiant les stigmas entourant le sujet et en cherchant à lever les tabous qui y sont associés.
Maints établissements offrent déjà des services et des ressources à disposition de leurs équipes afin de développer, entretenir et maintenir une bonne santé physique. Sa vision: et si l’on s’occupait également de leur tête?
D’après toi, qu’est-ce qui nous rend inconfortables dans le fait d’aborder et discuter de santé mentale?
Chantal: Les troubles de santé mentale ont longtemps été perçus comme des maladies honteuses, dont les gens étaient stéréotypés comme des «fous» hospitalisés ou comme des individus prompts aux crimes. Très jeune, on nous parle de la santé au point de vue physique et l’importance de prendre soin de son corps. Cependant, l’éducation au niveau de la santé mentale a encore du chemin à faire. C’est un pan de la santé globale, bien que tout aussi important, qui est encore méconnu et ça fait peur, donc on juge.
Quelle est la plus grande différence entre aborder ces sujets à la maison et au travail?
Chantal: Au travail, on n’ose pas en parler par peur de paraître fragile, de ne pas avoir de promotion, d’être vu comme un·e incapable. En fait surtout en milieux professionnels, on ne sait pas comment ouvrir ce genre de discussion. J'entends régulièrement des gestionnaires me dire: «Je ne veux pas poser la question comment ça va réellement, car je ne saurais pas quoi faire avec la réponse, si la personne ne va pas bien.» Une grande majorité de gens ne sont pas outillés à cet égard. À la maison, c’est plutôt qu’on ne veuille pas inquiéter son ou sa partenaire, ou ses enfants. Et souvent, comme on n’a pas appris à cultiver une saine santé mentale, on n’est pas nécessairement en mesure de reconnaître nos états, notamment quand on se sent de moins en moins bien.
On parle de plus en plus de l’importance d’avoir un discours commun sur la santé mentale entre les gestionnaires et les employé·es. Qu’est-ce que ça apporte de plus à l’environnement de travail?
Chantal: Toute personne a besoin de reconnaissance, et pas seulement comme main-d’œuvre, mais bien comme être humain. Lorsqu’on s’occupe de l’être humain derrière l’employé·e, on s’assure de l’appartenance de l’individu, qu’il ou qu’elle sente faire partie d’un groupe. La personne se retrouve généralement plus ouverte et disponible à collaborer, être productive, voire créative et ainsi travailler de pair à l’atteinte des objectifs de l’entreprise. Pouvoir parler de son état de santé mentale permet de parler de ces défis dès l’apparition de ceux-ci, au lieu d’attendre d’être au bout du rouleau et partir en arrêt maladie à long terme.
Ces discussions restent-elles pertinentes, même en télétravail?
Chantal: Il reste toujours aussi pertinent sinon encore plus, car on ne voit plus les employé·es en personne au jour le jour. Il n’y a plus les rituels de machine à café pour jaser de tout et de rien, pour prendre le pouls de nos collèges de manière organique. Plusieurs études démontrent que les employé·es en télétravail travaillent plus fort et plus longtemps qu’en présentiel au bureau. Cette tendance pèse dans le risque d’épuisement qui se retrouve désormais plus élevé.
Quelles seraient les principales stratégies que tu conseillerais de mettre en place afin d’ouvrir le dialogue sur le bien-être en entreprise?
Chantal: D’abord et avant tout, que la haute direction nomme et désigne la santé mentale étant une réelle priorité de l’entreprise. Le sujet devrait être ouvert et régulièrement abordé tout comme n’importe quels autres points dont les organisations font l’objet. On peut aussi penser à suivre des formations de sensibilisation et instaurer des ateliers réguliers sur différents thèmes reliés de près et de loin avec la santé mentale. Il y a aussi l’enjeu d’accompagner les gestionnaires à savoir bien détecter les signes et symptômes de leurs équipes et comment naviguer ces situations. De plus en plus, on voit des compagnies mettre en place des politiques claires et connues de toutes et tous sur les absences maladie en raison de santé mentale, sans oublier les procédures de retour de congés prolongés.
À ton avis, comment pourrions-nous imaginer mettre fin aux tabous sur la santé mentale?
Chantal: Ouf… c’est une grande question! Je pense que la Covid a permis d’ouvrir un peu plus le dialogue. Des reportages et des études ont été menés sur le sujet, ça a été largement présenté aux nouvelles, etc. Je crois que plus les gens prendront la parole publiquement, plus les tabous vont tranquillement tomber. Des athlètes comme Carey Price, Simone Biles, qui nomment l’épuisement, ça démontre que ça arrive à tout le monde et «normalise» le fait d’en parler.
Es-tu verre d’eau à moitié plein ou à moitié vide de l’état actuel des choses en matière d’enjeux psychologiques?
Chantal: J’estime qu’on est dans la bonne direction. Si on recule de 24 mois, avant la pandémie, exprimer ses opinions et ses réalités liées à la santé mentale était bien mal perçu socialement. Plus qu’aujourd’hui du moins. Rares étaient les entreprises qui en faisaient une priorité. Doucement, j’ai pu observer les organisations redéfinir l’importance du bien-être mental et aspirer à sensibiliser leurs troupes et mettre en place des stratégies de prévention. Depuis, de plus en plus d’entreprises veulent introduire et inclure chez eux de réels changements, en investissant dans de l’accompagnement à plus long terme par exemple. Les récentes modifications à la Loi sur la santé et la sécurité du travail (LSST), accélèreront peut-être des changements, avec l’obligation de s’assurer de la santé psychologique des employé·es.
Quelle est, dans tes propres mots, ta définition de bien-être?
Chantal: Pour moi, le bien-être est d’arriver à faire face aux défis quotidiens sans se sentir épuisé·e ou submergé·e. Vivre – oui – des moments plus difficiles, mais en sachant que c’est temporaire et qu’on arrive encore à fonctionner.
Pour en savoir plus sur Chantal Dufort et sa pratique, visitez chantaldufort.com.
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Chantal Dufort