J’ai lu ces derniers mois quelques articles et commentaires particulièrement polarisants et négatifs à l’égard de notre industrie des agences créatives. Le tout traitait notamment de la gestion de nos talents et du traitement réservé à la relève. Ça m’a laissé songeur. Car voyez-vous, mes collègues et moi ne percevions absolument pas la situation telle qu’elle était décrite. Alors pour approfondir ma réflexion, j’ai échangé avec plusieurs dirigeants et acteurs du monde des agences, en plus de consulter des jeunes de la relève. Étais-je dans le champ gauche de voir la coupe de notre industrie aux deux tiers pleine, alors qu’on étalait la réalité impitoyable d’un seau percé voué au vide inexorable de nouveaux talents ? Il fallait creuser encore un peu. Voir la forêt et non que des arbres supposément voués au défrichage.

Alors que la créativité fait partie intégrante de l’A.D.N. québécois, les agences créatives portent une mission noble et représentent des vecteurs culturels de premier plan. Nos produits créatifs sont exposés au grand public comme à des segments nichés tous les jours de l’année, dans tous les environnements possibles, ici comme à l’étranger. C’est pas rien. Nous évoluons de surcroît dans une réalité économique et de RH (je m’abstiens ici de mentionner la crise actuelle, par lassitude) qui rend les choses encore plus compliquées. Il m’apparaît évident que peu d’agences peuvent présentement prétendre à survivre en sous-payant leurs effectifs ou en exploitant les jeunes. Simple question d’offre et de demande. Et alors que les retainers se font rares et que la concurrence reste féroce, un fait demeure : les agences sont tout simplement condamnées à l’excellence (pour paraphraser celui qui fait tant rire dans les publicités de Maxi).

D’autre part, nous avons la chance d’être rassemblées sous une association, l’A2C, qui fait un boulot incroyable de valorisation et de reconnaissance (notamment avec le Concours Idéa), qui amorce des prises de conscience, qui fait le pont entre la relève et les agences, qui éduque les clients à de meilleures pratiques de sélection, qui défend nos intérêts lors de certains appels d’offres inéquitables, qui représente l’industrie auprès des différents paliers gouvernementaux et qui se charge finalement de mener des négociations complexes avec certains syndicats. Cette association fait partie intégrante de notre industrie et elle est absolument saine. Elle n’est pas extérieure à nous : elle incarne plutôt notre reflet. Tout ne doit pas être si sombre.

Le tissu des agences québécoises est tout sauf homogène, entre agences intégrées, numériques, spécialisées en design, en médias, en contenu, en production ou en RP, et j’en passe. Certaines ont rejoint des réseaux internationaux au cours des dernières décennies, entre autres parce qu’elles étaient reconnues mondialement pour leur très haut niveau de stratégie et de créativité. D’autres, de tailles plus humaines, grandissent et testent de nouveaux modèles d’affaires en toute indépendance. Bref, il n’y a pas qu’une expérience d’agence mais des dizaines, voire des centaines. Tirer des constats grossiers et généraliser est stérile. Se dévaloriser l’est tout autant alors que le gazon est tout sauf plus vert ailleurs, croyez-moi.

Enfin, nous oublions souvent la réalité des humains qui dirigent ces agences. Il est très facile de les juger quand on n’a pas le fardeau de la pérennité d’une entreprise sur les épaules. Conjuguer avec les enjeux de recrutement et le bonheur des employé.e.s au quotidien, stimuler l’innovation et la qualité du produit créatif, négocier avec les situations des clients, tout ça en maintenant une gestion saine et en générant des profits, le tout de surcroît dans un TGV qui fonce à vive allure dans de nouvelles ères de changement, on va se le dire, c’est tout sauf simple. Et ce que je constate à la direction de la majorité écrasante des agences que je connais, peu importe leur taille ou leur modèle, ce sont des gens honnêtes, passionnés et bienveillants qui bossent très très fort pour leurs équipes et qui font sincèrement de leur mieux. 

Est-ce que tout est parfait ? Bien sûr que non. Certaines rivalités malsaines persistent, la solidarité entre les agences est parfois déficiente, il y a encore trop de création spéculative, de grands pas en RSE restent à faire, notamment en ce qui a trait à l’inclusion et à la diversité, et la pression sur les employé.e.s doit être franchement mieux gérée. Aussi, le rôle de l’A2C doit être amplifié et les incitatifs à y adhérer accentués (je rêve parfois à une certification obligatoire). Nous devons finalement continuer à toujours mieux nous adapter aux attentes de la relève sans la juger, en évitant les amalgames. Mais soyons clairs : rien n’est parfait dans aucune autre industrie et la nôtre innove comme peu le font. Nous le constatons d’ailleurs tous les jours en nous immergeant dans les univers de nos clients. Je suis convaincu que nous sommes sur la bonne voie. Il suffit d’entretenir cet élan.

Alors, lancer des roches sur les agences m’apparaît aussi inutile que contre-productif, en plus de décourager certains jeunes en dressant un portrait déformé de notre industrie. Restons lucides, certes critiques, mais de grâce, ne jetons pas les bébés de la créativité avec l’eau du bain.

mathieu