Nous assistons actuellement à une montée aux barricades des médias imprimés afin qu’ils puissent obtenir de l’aide financière des gouvernements (donc des citoyens payeurs de taxes) afin d’assurer leur survie commerciale emballée sous la grande cause de la protection de la qualité des nouvelles fiables (donc anti fake news). Personne n’est contre la vertu, encore faut-il adresser le bon problème aux bons intervenants.

Les habitudes de consommation média de la population changent

Le monde des médias évolue à grande vitesse, mais les habitudes médias des consommateurs ne le font pas à la même vitesse. La nouvelle se consomme non plus exclusivement dans les médias traditionnels, mais sur les plateformes numériques. Pourquoi ? Pour l’instantanéité des nouvelles, quasiment en direct en tout temps. Le numérique est aujourd’hui l’une des premières étapes du processus d’achat des consommateurs, ne serait-ce que pour trouver l’adresse et le numéro de téléphone d’un commerce via les moteurs de recherche. Et les médias sociaux jouent un rôle d’influenceur dans les processus d’achat.

Les médias traditionnels ont regardé passer la parade sans trop régir, avec du chacun pour soi. Traditionnellement concurrents les uns des autres, la clé de la solution devra passer par une union des forces pour développer une stratégie commune. Sinon, ils mourront à petit feu.

Et détrompez-vous. La population consomme toujours autant les médias traditionnels. Par exemple, même si le lectorat papier régresse, le lectorat numérique des médias imprimés progresse. Et la sommation des deux types de lecteurs stabilise les taux de lectorat. Idem pour la TV. Donc les gens ne consomment pas moins certains médias, c’est la manière de consommer qui a changé.

Un problème de revenu ?

La source du problème des médias traditionnels se situe au niveau de la perte de leurs revenus publicitaires aux profits des médias numériques. Les médias traditionnels ont raison sur un point : les plateformes commerciales numériques doivent payer des taxes dans les pays où ils génèrent des revenus. Le défi se situe au niveau de la manière de légiférer ces revenus, et cela relève du domaine de la fiscalité (et de la volonté politique d’agir). Où les médias ont tort c’est d’imputer leurs baissent de revenus uniquement aux médias numériques. Effectivement il y a un glissement des revenus publicitaires des médias traditionnels vers les médias numériques. Pourquoi cet état de fait ? Les médias imprimés n’ont pas su s’adapter aux besoins des annonceurs, lacune que les médias numériques ont exploitée à fond. Le numérique répond essentiellement à un besoin : être maintenant capable de mesurer les performances des campagnes publicitaires et ainsi en justifier les investissements. Lorsque l’on achète une campagne Adwords, Display, Facebook ou autre, nous pouvons valider les résultats, car nous avons accès à un programme statistique qui fournit une multitude de données permettant de mesurer l’impact des campagnes publicitaires, ce que nous appelons la plateforme Google Analytics. Grâce à cet outil, toute offensive numérique est mesurable. Et de campagne en campagne, nous pouvons cumuler les résultats web pour ensuite les comparer (benchmarking) permettant de toujours améliorer les rendements.

Tous les médias traditionnels sans exception ont intégré des plateformes numériques à leurs offres de produits. Stratégie mise en place pour éviter une trop grande perte de revenus. L’erreur commise alors est la même : il ne suffit pas d’avoir un site web pour générer des revenus. Les grands du web ont vite saisi que l’acheteur de publicité a besoin d’avoir accès au DATA pour justifier ses budgets de publicité. Et Google est allé plus loin en mettant en place un système que nous appelons dans notre jargon « payer au rendement » en opposition au « payer à la promesse de rendement ». Google et Facebook ont bien compris cela. Ils ont rendu accessibles leurs logiciels statistiques ce que les médias traditionnels tardent à faire. Car permettre cet accès au data c’est de devenir imputable des résultats. Et cela, ils n’en veulent pas.

Un problème de qualité de la nouvelle ?

Sur ce point, les médias ont raison. Avec la multitude des sources de nouvelles (crédibles et non crédibles), il y a autant de vraies que de fausses nouvelles qui circulent sur le web. Pour protéger cette qualité de couverture journalistique mise à rude épreuve, pourquoi ne pas appliquer à la lettre un code de déontologie où seules les nouvelles provenant de sources accréditées par l’industrie auraient accès aux plateformes numériques de diffusion ? Ainsi seuls les journalistes accrédités pourraient y accéder. Tout comme on ne laissera jamais une personne sans diplôme en médecine exercer sa profession. Et obliger les grandes plateformes numériques à ne diffuser que des informations ayant cette accréditation. Bien sûr on ne pourra pas tout bloquer sur toutes les plateformes, mais on pourrait commencer à habituer les consommateurs à rechercher cette accréditation avant de donner de la crédibilité à une nouvelle. 

Un problème de données ?

Que proposent les médias traditionnels ? Rien ! Sauf un chèque en blanc. Adwords et Displays font payer les campagnes publicitaires à la performance sur leurs plateformes. Quand un internaute clique sur un résultat de recherche payant, le client annonceur paie un coût par clic. Lorsqu’un média traditionnel diffuse une campagne publicitaire d’un annonceur, celui-ci achète une pub sans aucune garantie de rendement sauf une promesse d’auditoire. La télévision et la radio sont mesurées via le service Numéris, et les journaux sont mesurés par Vividata. Mais pour leurs plateformes, les données proviennent trop souvent de programmes statistiques privés.  

Le problème des médias traditionnels se situe justement à ce niveau. Leurs données sont internes ce qui n’aide pas à construire un lien de confiance avec les annonceurs. Si les médias imprimés avaient une carte de tarif basée sur les rendements, donc basée sur l’imputabilité des résultats, ceux-ci n’auraient pas autant de problèmes de revenus. Car annoncer sur le numérique via les mots clés (Adwords) ou l’affichage de bandeaux publicitaires (Display) cela signifie payer à la performance. Dans les médias traditionnels et leurs plateformes web, l’annonceur va payer pour 10 000 personnes ayant vu théoriquement sa publicité. Avec Google par exemple, l’annonceur va payer uniquement pour les personnes qui cliqueront sur leurs résultats de recherche et donc pour des visiteurs de son site web.

Tous pour un : créer une plateforme statistique unique et rendre disponible ce DATA aux annonceurs

Certains pro média traditionnel aimeraient forcer les annonceurs à dédier une partie de leurs revenus publicitaires aux médias traditionnels afin de protéger la qualité de l’information. Comme annonceur, je vois mal comment je pourrais justifier de sacrifier ainsi une portion de mon budget publicitaire afin d’aider à la survie d’un média en constante régression au niveau de son lectorat papier. Chaque dollar publicitaire compte et demande justification. Or pour justifier ces investissements, nous devons pouvoir mesurer les rendements. Ce que les médias imprimés sont incapables de rendre accessible actuellement. Si une aide financière gouvernementale doit être accordée à cette industrie, qu’elle le soit afin de construire une base de données permettant de mesurer les performances, et que cette base de données soit accessible aux annonceurs. Google a su développer cette plateforme (Analytics) pour leur propre besoin et elle leur permet de générer des revenus en croissance constante. Ainsi, les médias traditionnels deviendront imputables des rendements promis aux annonceurs et cette garantie de rendement permettra aux annonceurs de justifier leurs investissements publicitaires.

Est-ce que les médias traditionnels sont prêts à ce mouvement, ou préféreront-ils quêter des sous aux gouvernements pour assurer leur survie, donc de leurs salles de nouvelles ? Et espérer ainsi protéger la qualité et la diversité de la couverture de l’information locale, régionale et provinciale et nationale ? La solution existe, mais cela demande un décloisonnement des entreprises médias et une volonté commune d’affronter les problèmes ENSEMBLE.

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