Il était une fois, dans le monde fantastique qu’est l’univers des relations publiques, un porte-parole d’expérience qui avait pris l’habitude, en entrevue, de ne pas répondre directement aux questions des journalistes.

  • Il se targuait d’utiliser parfaitement les « ponts » dans ses réponses, de façon si subtile que — selon lui — ses interlocuteurs et le public n’y voyaient que du feu :
  • Votre question est intéressante, mais je crois qu’il faut davantage se concentrer sur… (et il « passait un message »)
  • Vous touchez un point précis, mais si on regarde le sujet de manière plus large, il faut… (et il « passait un message »)
  •  Je comprends votre point de vue en général, mais si on regarde de plus près la situation, on constate que… (et il « passait un message »)

Il appliquait à la lettre les apprentissages des grands livres et les conseils reçus de ses formateurs médias. Vous avez probablement déjà entendu toutes les analogies à la base de sa vision : « Une entrevue est comme un match de ping-pong ou de tennis » ; « Il ne faut pas laisser le journaliste prendre le contrôle de l’entrevue » ; « Il faut que vous répétiez votre ligne de presse à plusieurs reprises » ; « Peu importe la question, votre réponse est la même » ; etc.

Dans son bureau, sur une image encadrée, Henry Kissinger lui rappelait même chaque jour, avec connivence, sa citation célèbre : « Avez-vous des questions pour mes réponses ? »

Ce qui devait arriver arriva

Un jour, il accepta — avec trop de confiance — d’accorder une entrevue à un journaliste chevronné, qui avait la réputation d’être coriace. « Grand bien lui fasse », se dit-il, enorgueilli, en pensant déjà au sentiment de « victoire » qu’il éprouverait une fois le micro et la caméra éteints.

Ce jour-là, notre Napoléon rencontra son Waterloo. L’entrevue fut catastrophique. Le journaliste gagna la bataille, et même la guerre, en faisant preuve de beaucoup d’insistance : « Vous ne répondez pas à mes questions ! » ; « Je vous demande ceci, la réponse est simple : oui ou non ? » ; « Arrêtez de répéter la même chose ! »

La voix chevrotante, la goutte de sueur au front, bafouillage après bafouillage, une attitude défensive, le porte-parole perdit toute contenance. Et le public était là pour assister à sa débâcle : des dizaines et des dizaines de commentaires négatifs sur les médias sociaux et de partages ridiculisant certains segments de l’entrevue. Certains journalistes qualifièrent le tout de pire entrevue de la décennie et un segment fut même diffusé lors des émissions humoristiques de fin d’année.

Leçon d’humilité pour quelqu’un qui, de bonne foi, avait le ferme sentiment de faire un excellent travail.

La morale de cette histoire 

Il s’agit d’un conte fictif (heureusement pas un fait vécu) un peu tiré par les cheveux, on va se le dire, mais la morale de cette histoire est simple : porte-parole, répondons aux questions, dans un langage clair ! Pas de langue de bois incompréhensible et évasive. Le public et le journaliste méritent ce respect.

Lors d’une entrevue en direct, les auditeurs et les téléspectateurs entendent la question du journaliste, et l’entendent encore davantage si celui-ci la pose trois ou quatre fois. Le public n’est pas dupe et s’en aperçoit si nous tentons de faire du patin de fantaisie : « A-t-il quelque chose à cacher ? » ; « L’entreprise n’est pas transparente ! » ; « Il y a anguille sous roche ! » ; etc.

D’ailleurs, il suffit de regarder attentivement ce qui se passe lorsqu’un journaliste « s’énerve » en ondes durant une entrevue : dans la grande majorité des cas, il s’énerve parce qu’il sent que l’interviewé ne répond pas à ses questions.

On s’entend : je ne dis pas non plus qu’un porte-parole doit répondre docilement comme un agent de service à la clientèle. Dans les règles de l’entrevue, le journaliste s’attend naturellement à ce que le porte-parole souhaite véhiculer un contenu en priorité et, règle générale, ce dernier aura la chance de le faire (surtout au début). Allons-y gaiement aussi en choisissant celle qui nous convient lorsqu’on nous pose plusieurs questions à la fois. Même chose si la question comporte plusieurs angles possibles ; n’hésitons pas alors à répondre, comme j’aime parfois le dire en conférence, avec « juste une fesse assise sur la question » en choisissant l’élément que nous jugeons le plus important. Cela demeure respectueux.

Par ailleurs, prenons aussi en considération qu’un porte-parole ne peut tout dire. Il doit parfois taire de l’information confidentielle, en raison d’une enquête ou d’un recours judiciaire, par exemple. Et il arrive régulièrement qu’un journaliste nous pose des questions qui concernent un tiers et non l’entreprise que nous représentons. Auxquels cas, répondons simplement que l’information n’est pas de nature publique pour telle ou telle raison, ou que nous devons référer le journaliste à une autre entreprise pour telle ou telle question. C’est la vérité, disons-le simplement, sans contourner la question.

J’irais plus loin : il faut même se donner le droit de dire : « Je ne sais pas, je ne connais pas l’information, mais je vais vous revenir avec la réponse après l’entrevue ». Dieu seul sait (en fait, Dieu et nous professionnels des RP) à quel point la préparation est essentielle avant toute entrevue. Cela dit, il se peut qu’une information nous ait échappé ou que l’entrevue prenne un angle plus large (ou plus précis). Nous sommes humains. Faire preuve d’humilité et admettre que nous n’avons pas la réponse va être toujours plus apprécié par le public et son interlocuteur que de tenter de le dissimuler en « passant un message » tout autre.

Ces humbles conseils valent ce qu’ils valent, mais en les suivant, nous vivrons vieux en tant que porte-parole et n’aurons peut-être pas beaucoup d’enfants, mais certainement beaucoup d’entrevues plus porteuses et respectueuses.

PORTE-PAROLE

--

Patrice Lavoie est directeur corporatif des affaires publiques, des relations de presse et des médias sociaux à Loto-Québec. Il a été porte-parole de nombreuses entreprises et organismes et cumule plus de 3500 entrevues et contacts médias en carrière.