Avez-vous déjà vu « La Gueule de l’emploi »? Il s’agit d’un documentaire qui a fait scandale au moment de sa diffusion sur France 2 en 2011. Ce film d’une durée de 90 minutes présente 10 candidats qui participent à un processus de recrutement de groupe, pour un poste de commercial (représentant). Sur deux journées, les candidats sont mis à l’épreuve via des tests, des mises en situation et jeux de rôles, dans un processus orchestré par le cabinet de recrutement parisien Conseil RST, pour le bénéfice de son client, la compagnie d’assurance GAN.  Le réalisateur, Didier Cros, entrecoupe des images d’entrevue avec des témoignages recueillis auprès des candidats, quelques semaines après la session de recrutement.

Dans l’espoir de révéler « ce que les candidats ont dans le ventre », les recruteurs font étalage de leurs méthodes, qu’ils estiment pertinentes et originales. Ils exposent les candidats à des épreuves souvent absurdes et à des mises en situation si loin du contexte de la fonction visée, qu’on se demande bien à quoi rime tout ça. Les interviewers abusent de leur position de force, pour infantiliser et dénigrer les candidats et ils multiplient les commentaires discriminatoires. On se questionne s’ils veulent vraiment tester les réactions des candidats au stress, ou s’ils prennent simplement plaisir à humilier ces derniers.

Au moment de la diffusion, le public était outré, horrifié par les méthodes et les commentaires mesquins des consultants et du personnel de la compagnie d’assurance. Beaucoup de professionnels des ressources humaines français se sont empressés de dénoncer ces pratiques et de s’en distancer, en insistant qu’elles ne représentent pas la norme de la profession.

Face à ce tollé, la compagnie d’assurance a blâmé le cabinet de recrutement, avec lequel elle aurait cessé de faire affaire. Le cabinet Conseil RST s’est défendu en accusant le réalisateur, lui reprochant d’avoir fait des choix au montage, dans le but de mal faire paraître les consultants et l’employeur. On sait tous qu’il est possible que des propos soient mal interprétés, lorsqu’ils sont pris hors contexte. J’ai toutefois beaucoup de mal à imaginer dans quelle situation il serait approprié pour un recruteur d’user de sarcasme à l’endroit d’un candidat et c’est sans parler du ton, condescendant dans son ensemble.

La raison pour ce supplice, c’est que le poste requiert « combativité », « sociabilité » et une « grande tolérance au stress, à la pression et à la frustration ». On se permet donc de torturer les candidats, sous prétexte « d’évaluer leur personnalité. »

On peut être d’accord avec la pertinence d’utiliser diverses approches pour jauger de la réactivité et de la capacité d’adaptation des candidats, tout en s’insurgeant contre les moyens utilisés par ces bourreaux. 

Il pourrait, par exemple, être intéressant qu’un interviewer utilise des questions qui étonnent ou déconcertent le candidat, ou qu’il feigne le scepticisme à certaines de ses réponses, pour pouvoir l’observer dans une situation de confrontation. Plusieurs entreprises de Silicon Valley font usage d’énigmes pour mesurer les réactions du candidat, son aptitude pour la résolution de problèmes ou sa créativité. Ce blogue d’un site américain de conseils sur la carrière en a répertorié plusieurs. Certaines sont plutôt amusantes.   

S’il est légitime d’employer des tactiques variées en entrevue, il n’est pas nécessaire ou justifiable de manquer de savoir-vivre. Il est tout à fait possible pour un interviewer de créer un contexte utile à l’observation des réactions des candidats en situation de stress, tout en agissant avec bienveillance.  

Comment un candidat peut-il faire bonne figure lorsque confronté à un scénario d’entrevue déroutant ? Tout d’abord en gardant son calme, autant que faire se peut. Si la question qui vous est adressée vous parait ambiguë, n’hésitez pas à demander une clarification. S’il s’agit d’une mise en situation trop peu détaillée, sollicitez plus d’information, avant de vous élancer dans votre réponse.  

Gardez en tête que l’ensemble du processus de recrutement vise à mesurer votre capacité à adopter les comportements attendus dans la fonction. Vous visez un poste au service à la clientèle ? L’interviewer investira sans doute un rôle s’apparentant à celui d’un client difficile. Vous voulez être embauché pour votre créativité ? Face à des questions inusitées, fuyez à tout prix les clichés dans vos réponses, quitte à passer pour excentrique !  

Si au cours d’une entrevue, vous vous retrouvez « à patiner » pour répondre à une question, il est probable que ce soit intentionnel de la part de l’interviewer. Par ailleurs, même si le fait de patiner vous occasionne un malaise, il y a beaucoup de chance que vous fassiez néanmoins très bonne figure. Lorsqu’on « patine », on pense à voix haute, exposant de ce fait le processus de réflexion qui conduit à une conclusion particulière. Votre inconfort ne fait pas en sorte que vos réponses sont nécessairement inadéquates.

Il me vient toujours en tête l’exemple de ce candidat à un poste de directeur groupe-conseil en agence de publicité, qui suite à une entrevue avec l’employeur client, m’a dit avec découragement, avoir fait une entrevue désastreuse. En fait, il a reçu une offre d’emploi de ce client dès le lendemain.

Qu’est-ce qui explique que le candidat ait si mal interprété la situation ? L’employeur lui avait demandé de lui parler d’un exemple de stratégie qu’il avait élaborée, pour ensuite s’employer à discréditer celle-ci, via ses commentaires et ses questions d’approfondissement. Il reproduisait en fait l’attitude de certains des clients de l’agence. Malgré son embarras, le candidat avait bien défendu sa stratégie, il s’était donc mérité une invitation à joindre l’équipe du client. Il a accepté l’offre avec enthousiasme, puisqu’il ne s’était pas senti attaqué personnellement, mais plutôt engagé malgré lui dans un débat d’idées.

Il est donc possible d’évaluer la réponse d’un individu à une situation stressante au travail sans pourtant l’agresser. Alors, si un employeur fait complètement abstraction des règles de la bienséance, s’il se montre agressif et belliqueux au cours d’une entrevue, il y a fort à parier qu’il soit aussi ainsi au quotidien. Si vous ne voulez pas devenir le souffre-douleur d’un quelconque tortionnaire, vous auriez sans doute avantage à passer votre tour, si vous êtes convié à une seconde entrevue avec une telle personne. Il est parfois préférable de poursuivre sa recherche d’emploi, plutôt que d’accepter un poste dans lequel on sait à l’avance qu’on y sera malheureux.

gueule de l'emploi

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Nathalie Lord

Conseillère en transition professionnelle

Lord & Complice

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