Groupon est un site web qui offre des coupons virtuels (Group coupon). Son principe est d'ailleurs déconcertant de simplicité. Pendant 24 heures, on offre des rabais importants (généralement supérieurs à 50%) aux consommateurs qui choisissent de se commettre à une offre. Si le nombre de clients atteint un seuil critique, le rabais devient réalité et les clients ont alors un certain temps pour se prévaloir de ce qu'ils ont déjà payé.
La croissance de Groupon est spectaculaire. L'entreprise oeuvre maintenant dans plus de 500 marchés répartis dans 45 pays. Créée à Chicago il y a moins de 3 ans, ses dirigeants auraient refusé une offre d'achat de 6 milliards de Google et les plus optimistes estiment sa capitalisation boursière (car elle est encore privée!) à 15 milliards de dollars américains. Son succès a donné naissance à toute un flopée de compétiteurs (Living Social) et d'imitateurs, dont plusieurs au Québec. Lespac.com (propriété de Groupe Pages Jaunes) offre un service semblable avec sa Promo du jour, Tuango.ca (ou Teambuy) en fait de même et Gesca vient de se lancer dans la mêlée avec Lerenard.ca.
Comme pour plusieurs innovations médias ou marketing, ce sont habituellement les premières marques-utilisatrices de ces services qui en bénéficient le plus. La couverture qu'en font les médias traditionnels, l'attention tout fraîche que lui portent les consommateurs et l'audace des premiers commerces font tous en sorte que l'outil semble populaire. Cela dit, popularité rime-t-elle avec efficacité?
Voyons les deux principaux avantages présumés de ce système (vous me voyez déjà venir avec mon côté "contrarieux", comme dirait ma douce) et ses conséquences plus insidieuses.
Groupon permet à des entreprises locales d'obtenir une visibilité qu'elles ne pourraient pas nécessairement se permettre autrement.
Il faut d'abord savoir que les offres de Groupon sont diffusées dans un marché spécifique. Autrement dit, le forfait proposé à Montréal n'a rien à voir avec celui offert à Toronto. Qui plus est, et contrairement aux médias traditionnels, il faut être abonné à Groupon pour être exposé à une proposition commerciale. Or, la pénétration de Groupon à Montréal n'a rien à voir avec celle de Google ou de Facebook dans notre même belle ville. Même si toute la plateforme de Groupon Montréal est dédiée à un détaillant, ce dernier ne rejoindra potentiellement (car les gens doivent prendre connaissance non seulement de l'offre mais de la marque derrière) que quelques milliers de personnes. En résumé, je suis loin d'être convaincu de l'attrait du fameux CPM (coût par mille) d'un investissement chez Groupon (et ce, même si le système offre la possibilité de transférer le message à un ami, ce qui augmente marginalement la visibilité de l'annonceur). La démonstration du type de gens s'abonnant à Groupon est aussi à faire.
Groupon permet de stimuler rapidement les ventes d'un détaillant.
À ce sujet, la démonstration semble assez claire. Groupon et les sites semblables font vendre. On est toutefois en droit de se demander à quel prix. En effet, le modèle d'affaires de ces entreprises est on ne peut plus limpide. L'entreprise exige d'abord que le détaillant offre un rabais significatif pour avoir la chance d'être "choisie". Qui plus est, le montant restant est alors partagé à parts égales entre le site de coupons virtuels et le détaillant participant. Ainsi, si une marque offre un produit à 40$ alors qu'il en vaudrait 80$ (ne chipotons pas sur les détails et admettons que le rabais est vraiment de 50%), le détaillant doit alors verser un autre 20$ à Groupon. Le magasin se retrouve donc à ne conserver que 20$, soit 25% du prix de vente usuel.
Outre le fait que certaines personnes pourraient payer d'avance sans jamais consommer le produit (un peu à la façon des cartes-cadeaux jamais utilisées), la seule façon pour le détaillant de se "refaire" consiste donc à espérer que les gens apprécieront tellement le service qu'ils reviendront fréquemment le visiter (une deuxième visite ne serait d'ailleurs pas suffisante pour rentabiliser l'opération). Les entreprises qui offrent un abonnement (ou une forte fréquence d'achat) seraient donc plus susceptibles de récupérer leur mise. Cela suppose aussi que les clients satisfaits accepteront de payer le prix réel lors de leur prochaine visite. Pour ma part, j'ai plutôt l'impression qu'un chasseur d'économies "grouponien" aura une plus grande propension à dégoter un rabais AILLEURS dans l'univers Groupon (ou un des univers parallèles) plutôt que de revenir payer le plein prix chez le détaillant-participant initial. Indirectement, on se trouve donc à conditionner les gens à rechercher les rabais au détriment de la valeur, ce qui impacte évidemment la profitabilité ultérieure.
On pourrait même pousser la logique et se dire que même les gens qui auront été exposés à l'offre sans nécessairement en profiter pourront se faire une drôle d'idée de la marque qui brade ainsi ses services. J'aurais personnellement un peu de difficulté à éventuellement payer le prix réel sachant qu'il est possible pour l'entreprise de baisser autant ses prix. De plus, je m'interroge sur l'impact de ces rabais, surtout s'ils sont fréquents, sur l'image de marque des entreprises.
D'autre part, je suis assez sceptique face à l'argument voulant que de proposer un achat groupé permette de se bâtir une base de prospects ou de données d'adresses courriel. Il serait selon moi beaucoup plus simple et efficace de gentiment demander à vos clients de livrer leurs courriels tout au long de l'année. Il faut aussi savoir que le nombre de participants à une promotion de type Groupon dépasse rarement une centaine de noms.
En résumé
Les entreprises qui ont rapidement utilisé les services de Groupon ont probablement bénéficié de l'approche, mais la multiplication de sites concurrents aura tendance à banaliser cette stratégie (qui n'est, au fond, qu'une version actualisée du bon vieux coupon-rabais). D'autre part, les sites gagnants dans l'avenir seront ceux qui pourront rapidement constituer des bases de données conséquentes (comme Google et/ou Facebook?).
Je ne suis cependant pas complètement pessimiste face à leurs succès futurs. En effet, la réelle contribution de Groupon et al. risque de s'effectuer sur plan de la création d'algorithmes permettant de mieux prévoir les comportements via notamment une amélioration du ciblage (que ce soit au plan socio-démographique ou géographique). D'ici là, le nombre d'outils marketing limité des milliers de petites entreprises assurera probablement un bassin suffisant de clients aux Groupon de ce monde pour qu'ils puissent prospérer quelque temps.
Pour ma part, je suis peut-être vieux-jeu mais je préfère aider mes clients à augmenter la valeur perçue de leurs produits/services plutôt que de baisser drastiquement leurs prix...