Dans son studio bétonné, les trépieds s’empilent contre les murs, les câbles serpentent au sol et les fonds colorés s’entassent en rouleaux. Un désordre organisé où Donald Robitaille semble parfaitement à l’aise. Il m’accueille avec un sourire en coin, se redresse légèrement sur sa chaise, puis laisse filer un rire qui brise la glace. « Ça me gêne un peu les entrevues », me dit-il d’entrée de jeu en se tortillant les mains. Sauf que très vite, derrière la réserve des premiers instants, c’est l’assurance du passionné qui prend le relais : celui qui a troqué la rigueur militaire pour la liberté de l’éditorial, et qui, depuis dix ans, pilote la créativité derrière les photos de couvertures du Grenier Magazine. Mais qui est donc celui qui se cache sous chaque image du magazine ?

De la discipline militaire à la liberté créative
Avant de devenir le photographe éditorial qu’on connaît aujourd’hui, Donald a appris son métier dans un contexte où chaque photo pouvait avoir des conséquences stratégiques graves. Photographe de combat pour les Forces canadiennes, il documentait des missions en Bosnie, en sous-marin ou à bord d’hélicoptères, parfois au risque de perdre une caméra mal attachée à l’aile d’un avion, qui, d’ailleurs, est un fait vécu. « On envoyait nos images au quartier général, et des décisions étaient prises à partir de ça. C’était une grosse responsabilité. Mais c’était trippant. J’ai adoré ça. »
Outre l’aventure et les émotions fortes, ces années passées dans l’armée ont laissé à Donald bien plus qu’un lot d’anecdotes spectaculaires. Elles lui ont appris à garder son calme quand tout s’emballe, à prévoir le coup d’avance, à rester solide quoi qu’il arrive. « Rester sous contrôle, peu importe la situation… ça m’est resté », glisse-t-il, comme si c’était la chose la plus simple au monde. On comprend vite que cette rigueur n’a jamais quitté son regard derrière l’objectif, sauf qu’aujourd’hui, elle s’allie à quelque chose de moins militaire : l’instinct et le flair créatif, soit cette petite étincelle qui transforme un portrait en histoire.
Puis, changement de décor. Exit les hélicos et les casques bleus, direction New York. Donald débarque dans l’univers de la mode, poussé par un représentant qui croit en lui. Là, il shoote pour des marques prestigieuses — Victoria’s Secret, entre autres — et sillonne le monde, de l’Islande aux petites îles caribéennes, en passant par l’Europe. Dans ce nouvel environnement, ce n’est plus la stratégie militaire qui compte, mais la créativité. Et Donald s’y sent à l’aise. Il préfère se tenir en retrait, donner la vedette aux autres, tout en sculptant tranquillement son style bien à lui. « Je me suis vraiment bien fondu dans cet univers-là et j’ai l’impression que je dois remercier l’armée pour ça. Le travail d’équipe, laisser la place aux autres et prendre la mienne quand c’est le temps. Sur les plateaux de shooting, je suis bien et je sais comment mettre en lumière les autres. C’est fou comme je me sens à ma place en studio. »
Retour au bercail et rencontre avec Le Grenier
Après des années à courir les studios new-yorkais et à faire le tour du monde, Donald sent grandir un besoin de rentrer chez lui. « À un moment donné, je sentais que je devais revenir à la maison », résume-t-il simplement. Montréal lui manque, alors Donald décide de reprendre des contrats dans la métropole.
C’est ici qu’il croise la route d’Olivier Samson Arcand, fondateur de OSA Images, qui commence à le représenter, puis d’Eric Chandonnet, fraîchement à la barre d’un magazine en pleine effervescence : le Grenier. Donald embarque dans l’aventure dès les débuts, séduit par la liberté créative qu’on lui offre. Pas de carcan rigide, pas de contrainte étouffante, mais bien juste l’envie de créer des images qui donnent le goût de tourner les pages. « Avec le temps, je me suis rendu compte que je suis plus un photographe éditorial… ce que j’aime, c’est quand les gens arrêtent pour feuilleter un magazine et s’attardent sur une photo. »
Au fil des années, il s’est fait une spécialité de sortir les couvertures du magazine des sentiers battus. Son approche est simple : écouter, proposer, et trouver la zone où les idées se rencontrent, mais ne jamais tomber dans le drame. « Ça sert tellement à rien de créer du drama juste pour imposer ma vision. Le but, c’est de travailler ensemble et de faire quelque chose qui donne envie aux gens ou mieux, qui les inspire. » Et force est d’admettre que cette liberté éditoriale lui permet d’oser des concepts qui sortent du cadre. Comme cette séance où trois dirigeants, trop mal à l’aise pour poser devant l’objectif, ont fini… remplacé par des têtes 3D posées sur des corps d’enfants. Ou encore cette couverture où une tarte s’est écrasée au ralenti dans un visage hilare. Pas du sensationnalisme gratuit, mais toujours ce petit grain de folie qui attire l’œil et qui raconte une histoire différente. « C’est ça qui est le fun : trouver le concept qui fait sourire et qui reste en tête. »
L’instinct éditorial
Comme il se plaît à le dire, Donald croit avoir trouvé un terrain de jeu parfait pour sa vision avec le Grenier : l’éditorial. Pour lui, un portrait ne devrait jamais se résumer à un simple « face à l’objectif ». Ça doit vivre, surprendre, donner une impression d’inattendu. « Un portrait, ça peut être original. J’essaie toujours de bâtir quelque chose autour et de raconter quelque chose de nouveau à travers l’image que je capture. »
Son arme secrète ? Un mélange de rigueur héritée de l’armée et d’une curiosité insatiable. Donald prépare ses séances comme une mission : éclairages, décors, angles… tout est pensé. Mais au moment d’appuyer sur l’objectif, il se laisse guider par son instinct. « Le plus simple est l’image, le plus dur que ça va être de la rendre extraordinaire », aime-t-il répéter. Car derrière l’apparente spontanéité de ses clichés, il y a toujours une réflexion guidée par la passion du métier. En parlant de sa préparation et des mécanismes de sa créativité, il se redresse sur sa chaise, sourire aux lèvres. Puis il évoque ses influences : les grandes couvertures d’antan, celles qui marquaient les esprits bien au-delà des kiosques. Vogue, notamment, qu’il cite avec admiration. « Je regarde beaucoup ce qui s’est fait avant… mais pas pour copier. C’est plus une inspiration, une manière de me rappeler qu’une couverture peut être iconique, même dans sa simplicité. »
Alors la prochaine fois que vous croiserez une de ses couvertures, peut-être la verrez-vous autrement ? Non pas comme une image figée, mais comme un terrain de jeu partagé.
Des covers reconnaissables qui sortent du cadre
Avec Donald, une séance photo peut rapidement basculer dans l’inattendu. Et c’est souvent là que la magie opère. On se souvient de ces dirigeants trop mal à l’aise pour jouer le jeu, remplacés par des têtes 3D posées sur des corps d’enfants. Ou encore de cette bulle géante qui enveloppe une modèle, ou d’un technicien portant des écouteurs… en carton. Et si ses couvertures pour le Grenier expriment sa facette la plus accessible, son compte Instagram montre un côté plus brut, plus punk, où l’émotion est frontale. « C’est un autre côté de ma personnalité… des images plus edgy, plus actuelles. » Comme s’il y avait, derrière l’œil du photographe, deux pôles qui se nourrissent l’un l’autre. D’un côté, le créatif qui crée une identité forte et reconnaissable pour un magazine, et d’un autre côté, l’artiste qui explore, sans filet, des univers plus personnels.
Dix ans de Grenier à travers son objectif
Dix ans, ça en fait des couvertures, des idées lancées en l’air puis transformées en images marquantes. Pour Donald, ce qui frappe en regardant en arrière, c’est l’évolution naturelle du magazine. « Je trouve que le Grenier a super bien évolué. L’équipe a changé le logo au bon moment, adopté des codes clairs, assumé une esthétique forte… toujours en phase avec son monde. »
Et lui aussi a dû s’adapter. Passer des photos en pied à des portraits plus serrés, réfléchir autrement la lumière, le décor, le cadrage. « C’est le fun, ça amène de nouveaux défis », dit-il en riant. Derrière ces ajustements techniques, on sent surtout la fierté d’avoir participé à une aventure qui, en dix ans, a su garder son authenticité. Donald aime souligner la simplicité de son collaborateur Eric Chandonnet : « C’est un gars très normal, et pas dans le sens plate, dans le sens très cool. Avec lui, pas de bullshit. Et je trouve que ça paraît à travers le projet qu’il mène depuis dix ans. »
Mais pas question pour lui de regarder uniquement en arrière. Chaque séance est l’occasion de pousser un peu plus loin, d’affiner une idée, d’essayer une nouvelle folie. « Toutes les fois que je termine un shoot, j’espère juste faire mieux la prochaine fois », explique-t-il. Et si le Grenier a encore dix belles années devant lui, Donald aussi est prêt à explorer, à s’adapter, et pourquoi pas à ouvrir la porte à de nouveaux projets, de nouveaux clients qui voudraient voir leurs idées prendre vie devant son objectif.







