Élisabeth Abbatiello, 31 ans, copropriétaire du Groupe Abbatiello, est l’un des visages les plus visibles de LinkedIn au Québec. Elle ne s’est jamais levée un matin avec l’intention de bâtir sa marque personnelle. « J’étais déjà sur Instagram, à parler de nos ouvertures de restaurants. Quand je suis arrivée sur LinkedIn, je me suis dit : c’est comme Instagram, mais pour l’entrepreneuriat. » Trois ans plus tard, elle est suivie par des dizaines de milliers de personnes. Sa présence naturelle et spontanée, selon elle, a soufflé un vent de fraîcheur sur LinkedIn.

PC Jolicoeur fait du jargon hypothécaire des anecdotes virales. Olivier Primeau, lui, peut enflammer Internet autant avec une critique du gouvernement qu’une bouchée de poutine. À travers leur contenu, leur ton et leur personnalité, ces figures ont bâti plus qu’une simple présence en ligne : une marque personnelle. Et dans bien des cas, leur nom est devenu plus puissant que celui de leur entreprise.
C’est le cœur du phénomène qu’on appelle le branding personnel. Une tendance qu’on associe volontiers à LinkedIn, TikTok et autres, mais qui existait bien avant les réseaux sociaux. « Le branding personnel, ce n’est pas nouveau pantoute », tranche David Desjardins, cofondateur de l’agence La Flèche, qui offre le service de ghostwriting Spectre. Selon lui, ce qui a changé, « c’est le fait que l’essence précède l’existence. Tu te fais aimer avant qu’on sache ce que tu fais. » En d’autres mots, ce n’est plus la compétence qui attire l’attention, mais l’attention qui crédibilise la compétence.

Pour David, « ce que peuvent dire les marques est passablement limité alors que les individus derrière les marques sont plus complexes et ont plus le droit à l’erreur, à l’imperfection. Forcément ça les rend plus intéressants à moyen et à long terme. » L’objectif n’est plus de faire rayonner un logo, mais de raconter une histoire, avec un ton, une voix, une perspective. Encore faut-il que ça sonne vrai. « Le fait de ne pas être authentique, c’est la plus grosse erreur », estime Élisabeth. « Quand c’est des agences qui rédigent, ça paraît. » David nuance toutefois : une aide extérieure peut être précieuse, à condition qu’elle respecte la voix de la personne. « Écrire pour les autres sans que ça paraisse, c’est un métier. On aide nos clients à structurer leurs idées, à construire un fil narratif durable, à sortir le meilleur de ce qu’ils vivent. C’est une compétence journalistique, parce qu’on ne voit pas toujours très bien soi-même ce qu’on a de plus pertinent à raconter. » Loin des billets de blogue aseptisés ou des citations inspirantes générées à la chaîne.
Ce nouveau rapport à l’attention n’est pas réservé aux PDG et aux créateurs de contenu. Il peut aussi devenir un outil stratégique pour les travailleurs autonomes, les PME ou les intrapreneurs. « Peu importe ce que tu fais, il y a des dizaines, voire des centaines de personnes qui font la même chose que toi », observe David. Le branding personnel permet d’incarner son expertise et de construire une relation durable. À condition d’avoir quelque chose à dire.
La frontière entre marque personnelle et marque d’entreprise, elle, se brouille de plus en plus. « Tu deviens l’image de l’entreprise », note Élisabeth. Et ça peut avoir ses revers : « Des opinions, ça ne fait jamais plaisir à tout le monde. » David abonde en ce sens : « Les gens n’ont plus envie d’avoir des dirigeants beiges. […] Ils aiment mieux avoir des gens qui sont controversés que des gens qui n’ont rien à dire. » Selon lui, le vrai danger, ce n’est pas la gaffe, mais l’insignifiance.
« Olivier Primeau est devenu aussi important que ce que produisent ses entreprises. Sinon, plus », illustre David. « Il est devenu une entreprise au service de ses entreprises. » Dans le cas du Groupe Abbatiello, la marque personnelle est un outil concret. Quand l’un des frères publie qu’il cherche un peintre ou un poseur de céramique, les candidatures pleuvent. « C’est plus pour attirer des opportunités B2B que pour vendre des repas », explique Élisabeth.
Les cas inspirants ne manquent pas. Élisabeth recommande de suivre Béatrice Vallière, qu’elle décrit comme « un mélange bubbly et posé, super bien dosé ». David, lui, cite en rafale Geneviève Everell, Marie Forleo, Billy Corgan ou encore Pierre-Charles Jolicoeur. Tous, à leur manière, ont compris qu’ils doivent incarner plus que leur produit. Cette tendance marque un retour au récit et à l’humain. Et comme toute bonne histoire, c’est souvent dans les failles, les nuances et les contradictions qu’elle prend toute sa puissance.