S’inviter sur Twitch, ce n’est pas gagné d’avance pour les marques. Dans cet univers bruyant et ultra codé, rares sont celles qui réussissent à faire leur place sans se faire huer. Pourtant, quelques-unes y arrivent. Lentement. Avec doigté. Et sans chercher à vendre à tout prix. Loto-Québec en fait partie. Patrick Healey, chef de service Innovation et divertissement, raconte comment.
Sur Twitch, le ton n’est pas une option, c’est une question de survie. Les utilisateurs détectent l’opportunisme marketing à des kilomètres. Et les marques qui débarquent sans connaître les codes avec un message trop léché se font souvent troller en direct. Patrick Healey, chef de service Innovation et divertissement chez Loto-Québec, l’a bien compris : « Du moment qu’une marque fait un message qui sonne faux, ça devient un mème, puis ça part comme un feu de paille ». Plutôt que d’imposer un discours, Loto-Québec a choisi de s’insérer discrètement dans l’écosystème, en misant sur l’authenticité et l’utilité. Le contenu est pensé pour la communauté avec des membres de cette même communauté. Pour Patrick et son équipe, il n’est pas question de dénaturer les streamers avec qui il travaille. «Ils doivent garder leur ton, leur style, leur couleur», affirme-t-il. La marque agit comme catalyseur. La présence de la marque prend de l’ampleur qui se traduit par un engagement réel, profond, qui se mesure non pas en clics, mais en temps d’attention et en dizaines de milliers de messages dans le chat.
Le projet phare de Loto-Québec sur la plateforme : La Face des Internets. Patrick le compare à une compétition comme La Voix, mais pour les streamers. Chaque année, douze participants sont répartis en équipes, puis jumelés à des coachs reconnus de la scène Twitch québécoise. Le but est de les faire évoluer, tant dans leur contenu que dans leur présence à l’écran. Tout est pensé pour que le projet soit ancré dans la communauté, des animateurs aux formateurs, ce sont toutes des faces connues de l’écosystème. LeBergy, aujourd’hui un streamer établi, est passé par là il n’y a pas si longtemps. Est-ce que La Face est entièrement responsable de sa montée en popularité? Non. Mais ça n’a certainement pas nui.
Avec La Face, Loto-Québec réussit à offrir du contenu long, engageant et qui rejoint la communauté et, surtout, à rester loin des formats publicitaires. « C’est plus énergivore et plus demandant que, disons, faire de la pub. Mais l’impact est plus profond ». Chaque saison, c’est une nouvelle cohorte, mais aussi des coachs différents. « On veut créer un engouement sur qui va être coach cette année ». Cette logique de roulement, combinée à une réelle valorisation des créateurs, nourrit un bouche-à-oreille rare pour une initiative de marque. « C’est quelque chose qui devient le sujet de la communauté sur Twitch », se réjouit Patrick.
Mais comment mesurer l’impact d’un projet comme La Face des Internets, alors que son rayonnement se diffuse à travers des discussions spontanées, souvent sur des chaînes qu’on ne contrôle pas? Comme on est loin des métriques classiques publicitaires, il y a avait une nécessité de mesurer le succès de l’initiative différemment. C’est là qu’entre en jeu Rivr. Développé par la start-up québécoise Botni, cet outil d’intelligence artificielle permet à Loto-Québec de suivre en temps réel les retombées de ses initiatives sur Twitch. Et ce, pas seulement sur sa propre chaîne, mais aussi à travers les multiples créateurs qui en parlent. Rivr analyse des heures de stream et repère chaque mention de la marque. « C’est là que l’on constate l’impact du projet dans toute la communauté », explique Patrick Healey. Car sur Twitch, la portée ne se limite pas aux vues : elle se construit dans les conversations, les références spontanés, les discussions qui se multiplient de chaîne en chaîne. Et ça, sans un outil comme Rivr, ça passerait complètement sous le radar.
Créer du contenu sur Twitch reste un pari risqué que peu de marques osent encore tenter. Pour l’instant, on y retrouve des joueurs attendus comme Ubisoft, solidement ancrés dans l’univers du jeu vidéo, et des acteurs plus nichés, comme Parro Info, qui misent sur des ambassadeurs et une présence ciblée. Et parfois, des surprises, comme BMO NXT LVL, une initiative de la Banque de Montréal qui cherche à rejoindre un public jeune avec du contenu financier pensé pour la plateforme.
Au final, réussir sur Twitch ne se résume pas à créer une chaîne Twitch, trouver un nom accrocheur, enlever les « e », et balancer du contenu. Il faut comprendre l’écosystème et les codes, mais surtout proposer du contenu qui a de la valeur pour la communauté. Loto-Québec l’a compris : ici, pas de conversions instantanées ni de messages tape-à-l’œil. Seulement une relation lente, patiente, construite sur l’authenticité et la pertinence.
