Au cours de la série « Créative », Marc n’a pas cherché à transformer son agence. Il a appris à marcher autrement.
La semaine dernière, il a compris que le modèle économique pouvait devenir un levier.
Cette semaine, l’agence dit non à un mandat. Et dans ce non, elle se reconnaît. Une conclusion sans triomphe, mais avec lucidité. Et une vraie respiration retrouvée.
________________
C’est une journée calme.
Mais différente.
Comme si quelque chose avait atterri, enfin.
Un brief est arrivé.
Client pressé. Produit fragile. Budget généreux.
Marc n’a pas eu besoin d’en parler à personne.
Il est passé dans le bureau de Sophie.
— Tu veux qu’on en parle ?
— Non. On sait déjà.
Elle sourit. Il repart.
Une heure plus tard, elle avait déjà rédigé la réponse.
Merci pour votre confiance.
Toutefois, notre approche exige un niveau de collaboration, d’espace créatif, et de co-construction qui n’est pas compatible avec les paramètres de ce mandat.
Nous vous souhaitons le meilleur dans la poursuite de votre projet.
Ils n’ont pas dit non par orgueil.
Ils ont dit non par précision.
Dans la salle de projet, Anaïs termine une slide.
Elle est maintenant designer.
Elle signe, pour la première fois, une présentation avec son nom dans le coin.
Elle a aussi co-écrit, avec Sophie et deux autres collègues, le manifeste de l’agence :
Ce qu’on protège. Ce qu’on projette. Ce qu’on incarne.
Elle le regarde parfois, en douce, car ça reflète une partie de son identité. Du moins qui elle veut être.
Il lui rappelle pourquoi elle a choisi de rester.
Luc a lancé une série interne: «Déjeuner sans brief»
Chaque dernier jeudi du mois, il fait livrer un petit déjeuner, partage une piste, une intuition, un croquis, et invite quiconque dans l’équipe de bâtir avec lui, de le créer, de le repenser.
— Pas besoin de projet pour penser. Faut juste pas oublier comment.
En premier, ils étaient deux. Après quelques mois, ils sont presque toute l’agence parfois à co-créer. Il a même vu Élise venir à une session. Elle a pris des notes. Et elle a proposé un projet.
Sophie travaille étroitement avec le nouveau directeur de stratégie. Ils ont revu tous les gabarits de brief. Ils ont même démarré un sous-comité pour évaluer les impacts potentiels de certains outils d’intelligence artificielle et de faire des tests avant d’implanter quoi que ce soit.
Simplifier. Clarifier. Humaniser.
— Si on commence avec - et dans - du flou, faut pas s’étonner qu’on livre de la confusion.
Depuis, le nombre de retours clients a chuté.
Et les brainstorms sont devenus des terrains fertiles. Pas des salles d’urgence.
En fin de journée, Marc entre dans la grande salle. L’équipe est là. Pas au complet. Ce n’est pas une annonce officielle.
Mais il avait besoin de le dire ici. Maintenant.
— Aujourd’hui, je vous annonce deux nouvelles nominations. Sophie et Luc deviennent officiellement associés de l’agence.
Applaudissements. Rires. Surprise sincère.
Marc sourit.
— Vous incarnez ce qu’on devient. Et j’ai envie de continuer à marcher avec vous. Pas devant vous. Merci d’avoir sauté à deux pieds dans l’aventure.
En soirée, au bar du coin, Isabelle l’attend. Elle l’avait vu passer dans le Grenier aux nouvelles. Un article sur leur nouveau modèle.
— Alors ? T’as sauvé le monde de la pub ?
— Non. J’ai arrêté de croire que c’était mon rôle.
Elle le fixe, amusée.
— T’as l’air moins fatigué.
— Je le suis encore. Mais j’suis plus en colère contre la fatigue. Je l’écoute.
Isabelle lève son verre.
— Tu vas quand même te refaire pogner un jour. Par une deadline. Un égo client. Une équipe qui flanche.
— Oui. Mais cette fois, j’me laisserai pas glisser aussi loin. J’ai pas besoin que tout tienne pour que ça soit vivant. Et j’aimerais couper dans mes dépenses de thérapie.
Elle sourit.
— T’as pas viré doux… mais t’as trouvé ton rythme. J’peux vivre avec ça.
Dernière page du carnet
Ce n’était pas un plan à suivre.
C’était une respiration à retrouver.
Et peut-être que le plus beau brief… c’est celui qu’on se donne entre nous, pour créer ce qu’on n’avait pas encore osé imaginer.
___________________________
Note de l’auteure:
J’ai voulu écrire cette série pour ouvrir un espace.
Un espace de fiction, oui — mais qui permet de reconnaître le réel autrement.
Un espace pour mettre en lumière ce qui se vit en creux, dans les regards, les silences, les doutes.
Marc n’est pas un personnage, ni inspiré d’une personne plus qu’une autre.
C’est un miroir. Un vecteur pour poser des questions que beaucoup ressentent sans les formuler.
Cette série n’offre pas de solution, ni les meilleures questions. Et elle est sûrement remplie de divergences de votre réalité.
Parfois même simpliste au bénéfice de la lecture.
Mais elle propose une posture.
Celle de la lucidité. De l’écoute. De la lenteur parfois nécessaire.
Et la permission de ne pas vouloir changer l’industrie au complet, juste notre place dans celle-ci, au bénéfice de notre matière première: notre créativité.
J’espère que vous y avez trouvé un écho.
Un soupir.
Ou une permission de t’autoriser, toi aussi, à penser autrement.
Merci d’avoir lu.