Cette série fictive aborde la complexité d’aligner stratégie, création et réalité économique.
La semaine dernière, l’agence de Marc s’est donné le droit de rêver à voix haute.
Cette semaine, Marc doit répondre à une question encore taboue : peut-on redéfinir la rentabilité pour qu’elle soutienne — et non asphyxie — la créativité ?
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Marc est assis avec Élise, la cheffe des finances.
Sur le mur : colonnes, chiffres, marges.
Sur la table : un taux horaire mixte de 175 $.
Et entre eux : une question.
— Élise… à quoi ressemble vraiment notre rentabilité ? Plus loin que les chiffres qu’on analyse tous les mois.
Élise ouvre son portable.
— On vend du temps. On facture des heures. Et on dépasse toujours. Pas un peu. Souvent. Beaucoup. Et notre marge de profit sur les pigistes et fournisseurs est exécrable.
Elle affiche un tableau.
— Dans 70 % des mandats, on sous-estime le temps réel requis. Résultat ? On érode notre marge. Et on évite de facturer les dépassements. « Pour préserver la relation. » Ça fait que certaines équipes travaillent sur trop de comptes en même temps, et on continue à sous-estimer les projets en conséquence sans savoir combien de temps les choses prennent réellement. Et les dépenses sur des pigistes augmentent trop rapidement.
Coudonc, est-ce que tout le monde est rendu pigiste aujourd’hui?
Marc soupire. Il le sait. Mais le voir, c’est autre chose.
Élise poursuit.
— J’ai séparé les types de mandats en trois verticales, je suis certaine de trop les avoir dissout, mais c’est pour l’exercice :
1. Marque – plateforme, identité, vision
2. Comms – campagnes, messages, relations médias
3. Marketing – outils, tunnels, activations
— Chaque segment a une temporalité différente et une structure de coût différente.
Elle dessine sur le tableau :
Marque : ROI long terme / haute valeur stratégique / espace créatif
Comms : ROI moyen terme / politique / visibilité élevée
Marketing : ROI court terme / pression / facturable mais fragile
— Mais on facture tout… à 175 $/heure. Même si certains de nos pigistes coûtent autant.
Marc se gratte violemment la tête. Élise sourit.
— Effectivement. À date, le seul seuil respecté, ce sont les ventes médias, et même ça, ça rush.
Elle prend une pause, voyant Marc inconfortable dans sa chaise.
— Tu te rappelles de la Fondation Oméga ?
— Bien sûr. Une plateforme forte. L’équipe s’est dépassée. Le client nous a fait confiance. Mais on n’a pas fait grand-chose comme revenu.
— Ce mandat-là, il a généré deux nouveaux projets. Il a fait briller l’agence. Il a laissé de l’air à la création.
Marc se redresse.
— Il a acheté plus que ce qu’il valait.
— Exactement. Il a acheté du temps. Du sens. Du souffle. Les clients n’avaient pas un gros budget donc on a étiré dans le temps et de différentes façons pour garder ça le fun, excitant. Et ça paraît.
Sophie entre, carnet en main
— Je vous dérange ?
— Non, viens. On parle de valeur et de chiffres, répond Marc. Mon 102e sujet préféré de tous les temps.
Sophie écoute. Elle comprend vite.
— Oméga… c’est le genre de client qu’on devrait courtiser. Pas parce qu’ils paient plus. Parce qu’ils créent plus. De l’espace. De l’impact. De la relation.
— Et si c’était ça, notre nouveau critère ?
Élise propose une nouvelle grille :
— Et si on classait chaque mandat selon :
• Impact sociétal
• Temps libéré, pas juste facturé
• Potentiel relationnel
• Visibilité long terme
• Charge mentale pour l’équipe
• Impact créatif
— C’est loin d’être parfait - comment on fait pour mesurer le temps libéré ou l’impact, par exemple. Mais on peut bâtir des conversations de développement autour de ça. Pas juste des pitchs. Des visions partagées. Et choisir de dire non aux mandats qui ne sont pas alignés.
Marc comprend alors qu’il ne s’agit plus de vendre ce qu’ils font.
Il s’agit de choisir ce qu’ils veulent cultiver.
De contre-mesurer valeur et valeurs.
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Notes à Marc :
Peut-on redéfinir le succès en fonction de ce que chaque mandat nous permet de créer comme valeur… et valeurs?
Est-ce que choisir ses clients est un luxe qu’on peut se payer? À quel coût?