L’intelligence artificielle (IA) n’est plus un sujet inédit, d’autant plus que son utilisation est désormais largement démocratisée grâce aux outils comme ChatGPT ou Midjourney. L’industrie de la publicité semble d’ailleurs avoir apprivoisé cet outil au cours des dernières années. Cependant, et en dépit de la popularité croissante de l’IA, les enjeux que cette technologie soulève sont multiples, touchant notamment à la vie privée, à la responsabilité et au droit d’auteur.
Certaines actualités récentes ont d’ailleurs attiré l’attention du public et suscité des discussions des juristes sur le droit d’auteur, entre autres, sur les potentielles violations de droit d’auteur perpétrées par l’IA et sur la qualification d’œuvres « générées » par ces outils[1]. On peut notamment citer la chanson promotionnelle des biscuits de Red Lobster, créée et produite avec l’IA[2]. Mais dans quelle mesure ces utilisations sont-elles « permises » du moins, en vertu du droit d’auteur canadien ?
Au Canada, le droit d’auteur ne semble exister que pour les œuvres créées par des êtres humains[3]. Ainsi, le Canada, comme plusieurs autres juridictions, exclurait les œuvres créées de manière « autonome » par une machine. Cependant, le seuil de cette contribution humaine n’est pas clairement défini. De récentes consultations publiques ont d’ailleurs été menées par le gouvernement canadien, afin de clarifier cette question[4]. Un recours a également été entrepris devant la Cour fédérale afin d’invalider un certificat d’enregistrement de droit d’auteur désignant un système d’IA comme co-auteur[5]. La décision, attendue, permettra peut-être de jeter un éclairage sur ce critère d’autorat et de créativité humaine.
Dans l’immédiat et en l’absence de balise claire au Canada (contrairement aux États-Unis[6]), il convient d’agir avec prudence lorsqu’on utilise l’IA à des fins de création, particulièrement dans le cadre d’une entente de services (contrat d’agence). En outre, en l’absence de créativité humaine, le contenu produit « artificiellement » ne saurait se hisser au rang d’œuvres originales, protégeables par droit d’auteur, exposant ainsi l’agence à un bris de contrat potentiel.
Par ailleurs, l’IA soulève des questions de contrefaçon. En effet, l’utilisation d’œuvres protégées comme données d’entraînement est susceptible de violer les droits des créateurs, lorsque leur consentement n’a pas été obtenu préalablement. Aux États-Unis, une première décision a conclu qu’une telle utilisation était contraire à la loi et constituait une violation de droit d’auteur[7]. Nous ne disposons pas de décision semblable au Canada, mais plusieurs recours ont été introduits au cours des derniers mois afin de trancher cette question[8]. Dans l’immédiat, l’enjeu est double pour l’industrie de la publicité : il s’agit, d’une part, de s’assurer de soumettre aux outils d’IA du contenu « libre de droits » ou pour lequel des autorisations préalables ont été obtenues et, d’autre part, de mettre en place des mesures de protection (par exemple, technologiques), afin de minimiser le risque que les systèmes d’IA « s’alimentent » de son contenu.
L’IA est ainsi un outil représentant, certes, des défis, mais également des opportunités. Il appartient donc au milieu créatif de rester à l’affut des évolutions législatives et technologiques afin d’adopter les mesures adéquates pour maximiser le potentiel de cet outil, tout en veillant au respect du droit d’auteur.
*Merci à Thomas Chagnon, stagiaire en droit chez ROBIC, pour sa contribution à la rédaction de cette capsule.
[1] GOUVERNEMENT DU CANADA, Innovation, sciences et développement économique Canada, Consultation sur le droit d'auteur à l'ère de l'intelligence artificielle générative, 2023, en ligne : <https://ised-isde.canada.ca/site/secteur-politique-strategique/fr/politique-dencadrement-marche/document-consultation-consultation-droit-dauteur-lere-lintelligence-artificielle-generative>; GOUVERNEMENT DU CANADA, Innovation, sciences et développement économique Canada, Consultation sur le droit d'auteur à l'ère de l'intelligence artificielle générative : Rapport sur ce que nous avons entendu, 2025, observation 3, en ligne : <https://ised-isde.canada.ca/site/secteur-politique-strategique/fr/politique-dencadrement-marche/consultation-droit-dauteur-lere-lintelligence-artificielle-generative-rapport-nous-avons-entendu#s5>.
[2] Red Lobster, « Red Lobster Drops Music Tracks as Fresh as Their Cheddar Bay Biscuits » (2025), en ligne : <https://www.redlobster.com/news-press/press/2024/04/15/red-lobster-drops-music-tracks-as-fresh-as-their-cheddar-bay-biscuits/>.
[3] GOUVERNEMENT DU CANADA, Innovation, sciences et développement économique Canada, Consultation sur le droit d'auteur à l'ère de l'intelligence artificielle générative : Rapport sur ce que nous avons entendu, 2025, observation 3, en ligne : <https://ised-isde.canada.ca/site/secteur-politique-strategique/fr/politique-dencadrement-marche/consultation-droit-dauteur-lere-lintelligence-artificielle-generative-rapport-nous-avons-entendu#s5>.
[4] GOUVERNEMENT DU CANADA, Innovation, sciences et développement économique Canada, Consultation sur le droit d'auteur à l'ère de l'intelligence artificielle générative, 2023, en ligne : <https://ised-isde.canada.ca/site/secteur-politique-strategique/fr/politique-dencadrement-marche/document-consultation-consultation-droit-dauteur-lere-lintelligence-artificielle-generative>.
[5] Samuelson-Glushko Canadian Internet Policy and Public Interest Clinic v. Ankit Sahni, T-1717-24.
[6] UNITED STATES COPYPRIGHT OFFICE, Copyright and Artificial Intelligence part 2: Copyrightability, 2025, en ligne : <https://www.copyright.gov/ai/Copyright-and-Artificial-Intelligence-Part-2-Copyrightability-Report.pdf>.
[7] Thomson Reuters v. Ross Intelligence Inc., 1:20-cv-613-SB (DC. Delaware), p. 23.
[8] Voir notamment : Canadian Legal Information Institute v. 1345750 B.C. Ltd., Clearway Management Ltd., Alistair Vigier Doing Business As Caseway Ai, Caseway Ai Legal Limited And John Doe Corporation, VLC-S-S-247574, Cour suprême de la Colombie-Britannique; TorontoStar Newspapers Ltd. et al. v. OpenAI Inc. et al., CV-24-00732231-00CL, Cour supérieure de l’Ontario.