Affaires de l'industrie

Vous n’êtes pas seuls: anxiété et fatigue cognitive, les nouveaux maux de l’IA

par David Pieropan 2 juin 2025

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Au Sommet IA des Rendez-vous de la création de contenu en mai dernier, le mot anxiété a été prononcé 17 fois, au point de devenir le « running gag » de la journée (à égalité avec « curiosité »). Comme l’a dit Audric Gagnon en riant : « On aurait pu faire un drinking game avec le mot anxiété aujourd’hui ! »

Après une édition 2024 très « accélérationniste », il était nécessaire cette année de revenir au ressenti : parler de peur, de doute, de surcharge mentale et de la façon dont l’IA bouscule les repères des créatifs. Le mot « anxiété » est donc revenu souvent parce qu’il traduit le sentiment dominant dans cette ère de co-création avec l’IA.

Mais loin d’être tabou chez les créatifs invités, cette anxiété est plutôt utilisée comme point de départ et elle s’est transformée en « curiosité ». La créatrice de contenu Alicia Renaud (Maalavidaa) résume bien ce virage : « L’anxiété, c’est de la peur ; il faut juste choisir ses batailles. Moi, la mienne, c’est de continuer à créer. »

Je propose donc qu’on porte notre attention sur comment ces créatifs invités au sommet ont su reprendre leur souffle et comment ils s’en sortent à diriger un orchestre sur le fast-forward tous les jours.

De l’anxiété… à la curiosité active
Plusieurs des créatifs invités ont raconté avoir d’abord vécu un choc (perte de repères, peur de devenir obsolètes) avant de transformer cette peur en moteur, en acceptant de « jouer » avec l’IA, en découpant l’apprentissage en petits risques gérables, et en se servant de l’IA comme accélérateur plutôt que comme substitut.

Le réalisateur et directeur créatif Julien Vallée (Vallée Duhamel) le raconte avec une honnêteté désarmante : « Je dormais avec un notebook à côté du lit parce que je me réveillais en pleine nuit en me demandant : où est ma place ? »

Julien décrit ainsi son été 2023, où l’émergence des IA génératives l’a plongé dans un profond questionnement : il avait le choix entre continuer à angoisser et risquer de rester figé, ou bien se plonger à fond dans le sujet pour comprendre ce qu’il est possible de faire avec ces outils.

Julien a choisi la deuxième voie : il a pris l’année 2024 pour tester divers modèles (Runway, Midjourney, etc.), apprendre à les utiliser et voir comment intégrer l’IA dans son processus créatif. Cette démarche proactive l’a aidé à transformer son anxiété initiale en réinvention créative. « On a vécu un tsunami créatif. Il fallait soit le subir, soit apprendre à surfer », dit-il.

Et pour l’artiste et créatrice Marika D’Auteuil, la clé c’est la curiosité : « On va perdre des opportunités si on décide de bouder ; il faut simplement être curieux de ces technos parce qu’elles vont rester. »

Oui, il y a une taxe mentale à travailler avec l’IA
L’ironie de la situation, c’est qu’à vouloir s’aider de l’IA partout, on risque justement à se nuire par une surcharge cognitive qui paralyse ou qui fatigue l’esprit. Parce qu’en travaillant avec l’IA il faut sans cesse comparer, choisir, valider, sinon apprendre de nouvelles interfaces ou fonctionnalités. Comme l’a souligné le vidéaste Elias Djemil : « Ça demande beaucoup de jus mental ; il faut garder un sens critique permanent. »

Par ailleurs, l’IA elle-même génère du contenu en quantité industrielle, ce qui contribue à l’infobésité générale. Recevoir une liste de dix idées pour une campagne publicitaire ou huit stratégies de lancement de produit, c’est le fun. Mais en pratique, ça pose un nouveau défi cognitif : il faut échanger constamment avec la machine, puis ensuite trier, classer, évaluer, exploiter, etc, etc.

Il faut donc se l’avouer, la déferlante d’informations et de complexité apportée par l’IA tend à dépasser nos capacités cognitives humaines. Aussi, l’IA n’apporte pas moins de travail mental, elle l’a seulement déplacée du cerveau de plusieurs personnes vers un seul cerveau.

Notre cerveau sous l’influence de l’IA
Avec l’IA, on subit présentement une forme de « reprogrammation cognitive », avec de nouvelles routines, de nouveaux réflexes. Cette collaboration homme-machine exige d’apprendre à penser différemment. Il faut être capable de formuler clairement ses besoins (pour bien diriger l’IA), d’évaluer avec esprit critique les réponses de la machine, et de rebondir rapidement sur les idées exploitables. C’est une gymnastique intellectuelle complètement inédite.

Le Sommet a fait émerger des idées simples pour ne pas virer fous : choisir peu d’outils mais les connaître, inscrire l’exploration IA dans l’agenda pour éviter le défilement sans fin, définir un seuil annuel de compétences avant de courir vers la prochaine fonctionnalité, et demander à l’IA d’être plus claire, plus concise, plus simple tout de suite.

Il faut le dire : la pression ne disparaîtra pas. En revanche, chacun peut régler le volume. Prendre le temps de respirer, de réfléchir, d’imaginer, voilà le vrai bénéfice pour les humains grâce à l’IA.

L’IA peut même devenir une forme de soutien moral. Marika D’Auteuil l’a formulé ainsi : « C’est un petit assistant créatif — et moral, des fois. » Et Alicia Renaud ajoute : « Dans mon appart de freelance, l’IA est devenue comme un collègue : un soutien non rémunéré ! » Évidemment, ça ne vient pas sans effets secondaires. « Je peux générer 400 images pour en garder six ; ça m’a fait passer six mois sans dormir ! », confie encore Marika D’Auteuil.

Enfin, et c’est le plus important à mon avis, il est crucial de préserver du temps de réflexion déconnecté de l’IA : s’accorder des moments sans outils pour synthétiser ses pensées, identifier ce qui compte vraiment et retrouver une vue d’ensemble. En clair, il s’agit de reprendre le contrôle de l’information, plutôt que de la subir. Sans discipline cognitive, l’IA va juste amplifier notre confusion.

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