Alors que Marc commence à incarner un nouveau style de gestion, cette série s’attarde aux regards qu’on oublie souvent d’interroger.
La semaine dernière, Paul a fait réfléchir Marc sur la valeur de la productivité et les optimisations algorithmiques.
Cette semaine, c’est Anaïs, la stagiaire, qui l’interpelle par une simple question. Avec lucidité et naïveté, elle met le doigt sur une fissure : le décalage entre ce qu’on montre… et ce qu’on vit.
—
Marc passe dans le couloir. Il ralentit.
Par la porte entrouverte, il voit Anaïs, seule, concentrée, en train de réajuster une présentation.
Il frappe doucement. Elle retire un écouteur.
— Salut. J’peux t’emprunter une minute ?
— Oui, oui.
Il entre, regarde son écran.
— C’est pour Laurier ?
— Oui. Élodie m’a demandé d’explorer une piste de plus. J’essaie quelque chose de plus léger, plus « pop ».
Marc sourit.
— C’est vraiment bien.
Elle sourit à son tour, un peu surprise. Puis il pose la vraie question.
— Pourquoi t’as choisi de faire ton stage ici ?
Anaïs réfléchit, les yeux ailleurs.
— J’étais sur Instagram. J’ai vu un post par l’agence, une photo d’équipe, un ton drôle. Créatif, mais humain. J’me suis dit : « OK, ça, c’est une agence où j’me verrais. »
Elle marque une pause.
— Pis votre site aussi. Le langage. Les couleurs. Vos campagnes. Les marques. Tout était… vibrant. Ancré dans le présent. À la fois réfléchi pis assumé. Pas mal créatif. Et vous travailliez avec beaucoup de causes, ça c’est cool. C’est ce que je veux faire.
Marc l’écoute, sans interrompre.
— À l’université, on parle souvent de vous comme d’un modèle. Vous avez la réputation d’être avant-gardistes, solides, proches de vos clients.
Elle tourne la tête, le regarde.
— Mais… l’énergie ici, elle est pas pareille. C’est pas que c’est mal. C’est juste… calme. Presque retenu. Parfois tendu. Y’a des silences dans les réunions. Pis des regards fatigués. J’pensais que vous faisiez un peu plus de bruit dans les corridors que ça, genre.
Marc hoche doucement la tête.
Anaïs hésite, puis demande :
— Pourquoi c’est pas pareil ? Pourquoi y’a un écart entre ce qu’on voit de vous à l’extérieur… et ce qu’on ressent à l’intérieur ?
Il reste silencieux un instant.
Il sait qu’elle ne le provoque pas.
Elle nomme un écart qu’il connaît, mais qu’il n’avait jamais entendu dit aussi simplement.
Il répond doucement :
— Parce que ce qu’on projette, c’est souvent ce qu’on aspire à devenir. Mais on est pas rendus là. Entre-temps, on se concentre sur le travail à faire. Pis parfois, on oublie de se demander si ça nous ressemble encore.
Anaïs l’écoute. Elle ne répond pas. Elle comprend.
Marc s’assoit, pose son carnet.
— T’as pas idée à quel point ta question est juste. Pis à quel point j’ai pas encore la réponse.
Elle sourit, simplement.
— J’pense que j’avais besoin de la poser plus que d’avoir une réponse.
En sortant, son carnet toujours à la portée de main, Marc y inscrit:
Combien de temps peut-on vivre en tension entre ce qu’on dit être… et ce qu’on est ?
Et si la relève n’attendait pas la vérité parfaite, mais la cohérence minimale ?