Chaque semaine, « Créative » explore les tensions qui traversent la transformation culturelle des agences.
Dans l’épisode précédent, Zarah l’a aidé à renoncer au contrôle.
Cette semaine, il confronte une autre vérité : celle d’un pair qui a optimisé son agence sans sacrifier la performance. Marc doit maintenant se poser la seule question qui compte.
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Paul et Marc se connaissent depuis longtemps. Pas des amis. Pas des rivaux. Deux figures d’une même industrie, mais pas du même bois.
Marc l’a invité à déjeuner. Il ne sait pas exactement pourquoi.
Peut-être pour tester ses idées.
Peut-être pour confronter son doute à une logique extérieure.
Peut-être pour voir s’il reste un pont entre deux visions du métier.
Ils s’installent. Deux cafés noirs. Un œuf-bacon chacun. Rien de conceptuel.
— Paraît que tu veux humaniser la shop ?
— J’essaie surtout d’éviter qu’elle implose.
Paul sourit.
— J’te comprends. Mais t’as pas peur de perdre l’essentiel dans le processus ?
— C’est quoi, l’essentiel selon toi ?
— Livrer. Bien. Vite. Rentable. Notre job, c’est pas de bâtir une retraite créative. C’est de faire vendre des marques et des produits. On est des accélérateurs. Pas des incubateurs.
Marc ne réagit pas. Il laisse Paul continuer.
— J’ai passé deux ans à intégrer l’IA. On a réduit les allers-retours. Rendu les briefs plus nets, optimisés, attachés au rendement. On livre mieux, sans user les équipes. C’est pas de la magie. C’est de l’intention. Et de la structure.
— Vous êtes une shop connu pour votre offre numérique, j’aurais été surpris d’entendre le contraire. Pis côté humain ? T’as vu un vrai gain ?
— Je n’entend aucun grondement. Les gens aiment livrer quand ça marche. Quand c’est clair. Quand c’est efficace. Y’a du stress, oui, mais du bon. Du stress qui mobilise. Qui laisse la place au flair créatif. L’équipe n’a pas peur d’itérer. De tester. De couper dans le gras. Kill quick. Ça fait partie de notre culture.
Marc s’appuie contre sa chaise, sceptique.
— Je pense qu’on a mélangé vitesse et valeur. On s’est mis à croire que ce qui est livrable rapidement est plus rentable. Mais on a oublié que la vraie valeur de la création… c’est pas juste d’aller vite. C’est de faire juste. De faire impactant. De faire ce qui dure.
— Pis comment tu mesures ça, le « juste », demande Paul.
Marc reste silencieux. Il n’a pas encore la réponse.
Paul poursuit :
— On vend du service, Marc. Pas de l’inspiration. Si t’es pas capable de démontrer la valeur dans ta chaîne de rendement, t’es en train de construire une belle idée… sans modèle.
— Ou peut-être qu’on est en train de construire un nouveau modèle. Qui commence par autre chose que des slides.
Paul hoche la tête. Il n’est pas en désaccord. Mais il reste prudent.
Ils terminent leur café.
Paul pose la dernière question, presque sincèrement :
— Tu veux aller où avec tout ça, Marc ?
Marc le regarde, et pour la première fois depuis des semaines, il le sait.
— Je veux comprendre où se trouve la réelle valeur profitable de notre industrie. Pas celle qu’on vend. Celle qu’on crée. Pour qui on le crée. Et je veux le faire de façon durable. Fini l’extraction sans bornes.
—
Plus tard en soirée, il sort son carnet.
Et si la vraie valeur de la créativité d’affaires n’était pas dans la vitesse, mais dans l’intention ?
Peut-on redéfinir la profitabilité sans sacrifier l’essence de ce qu’on est venus créer ici ?