Dans cette série, chaque épisode trace le chemin ardu, inconfortable, mais nécessaire d’un dirigeant en bascule.
La semaine dernière, Marc avait retrouvé une posture d’écoute.
Mais cette semaine, il retombe dans un réflexe ancien : vouloir structurer, mesurer, modéliser ce qui n’est pas encore formé. Zarah l’aide à faire ce pas de recul — vers une autre manière d’être utile.
—
Marc observe. Il ne parle presque plus.
Il assiste à quelques réunions à la demande de Sophie. Il reste au fond de la salle, prend des notes. Il ne fait pas de point, ne résume rien.
Dans les corridors, il surprend des fragments :
« J’ai eu le temps de faire un deep dive ce matin sur ton plan média télé et de vraiment le lire. J’ai appris que je ne sais vraiment pas lire un plan média télé. »
« On m’a pas re-demandé de re-faire pour la cinquième fois, pis ça a changé ma semaine. »
« La coordo est venue me demander comment le dernier projet avec le client avait été et ce qu’elle pouvait faire mieux. C’était rafraîchissant. »
Mais dans cette abondance de signaux, Marc est noyé.
Il commence à tout entendre. Trop.
Cette personne-ci veut plus de temps.
Celle-là trouve qu’il y a trop de flottement.
L’autre adore la nouvelle approche, mais veut des balises.
Un quatrième veut un coach.
Un autre veut juste qu’on arrête de parler de changement.
Marc ne sait plus distinguer ce qui relève du personnel ou de la structure, ce qui mérite d’être activé, ou simplement entendu et ce qui est un besoin, ou un réflexe de résistance.
Il se réveille une nuit avec une pression dans la poitrine.
Il passe la journée tendu, distrait.
Chaque phrase qu’on lui dit semble ouvrir un nouveau chantier.
Il rouvre son fichier « Culture de création durable – V1.4 », et cette fois, le curseur clignote dans le vide.
Malgré qu’il voulait lui donner l’espace qu’elle demandait, Marc envoie un message à Zarah, simple :
« Je suis paralysé. Je veux bien guider, mais je ne sais plus vers quoi. Je m’ennuie de nos échanges de geek. »
Elle répond quelques heures plus tard.
Elle accepte un appel.
Ils se parlent à distance. Il est nerveux.
— Tu vis quelque chose de très normal. Le vertige de l’intention. T’as ouvert des canaux, pis là tout entre en même temps.
Marc soupire.
— J’me sens dépassé. Chaque fois que j’écoute, je crée une attente. Pis chaque attente m’éloigne de la clarté.
Zarah reste calme. Elle lui pose une question simple :
— Ton corps, comment il réagit à tout ça ?
Marc hésite.
— Tendu. Compressé. Comme si j’étais en train d’avaler des briques.
— Tu résistes à ce que tu entends. Et dans tout ce que t’entends… qu’est-ce qui te semble injuste ?
Il réfléchit.
— Ceux qui veulent bien faire, mais n’ont jamais le cadre pour. Celles qui prennent tout sur leurs épaules. Ceux qui veulent créer pour vrai, pis qui sont pris dans une machine de révisions. Celles qui veulent changer de métier.
Zarah hoche la tête à l’écran.
— Et toi, tu veux réparer ça ?
— Oui… mais j’sais même pas par où commencer. Pis j’ai pas envie de redevenir le boss qui impose un système.
Silence.
Zarah pose la question qui recadre tout :
— Marc, ce n’est pas ma bataille, et ce n’est pas à moi de te dire quoi faire, dit-elle en soupirant. Et si c’était pas ton rôle de réinventer l’agence ?
Et là, il comprend.
Il referme son fichier. Pour aujourd’hui.
Pas parce que le projet est fini.
Parce qu’il n’a plus besoin d’y mettre des mots tout de suite.
Il a retrouvé la sensation qui lui manquait.
—
Dans son carnet de notes, il inscrit:
Est-ce que j’essaie de résoudre trop tôt ce qui doit encore se former ?
Et si mon rôle, c’était simplement d’incarner ce qu’on cherche, sans le figer ?