Dès juin 2025, le projet de Loi C-59 risque de faire des vagues dans les belles promesses vertes. Adoptée en juin 2024, elle s’inscrit dans la Loi sur la concurrence et vise les entreprises aux allégations environnementales trompeuses. Exit les termes « écoresponsable », « bon pour la planète », « carboneutre » et autres si elles ne sont pas fondées. Désormais, toute entreprise qui communique sur ses engagements écologiques devra prouver ses affirmations sous peine de poursuites.
Un changement radical dans l’application de la loi
« Ce qui change radicalement, c’est l’introduction du droit privé d’action en juin prochain. Avant, seul le Bureau de la concurrence décidait s’il y avait matière à enquête. Maintenant, n’importe qui (ONG, consommateur·rice, concurrent) pourra traîner une entreprise devant le Tribunal de la concurrence », explique d’entrée de jeu Valérie Vedrines, spécialiste des enjeux de communication durable et cofondatrice de Masse Critique..
Et ce n’est pas tout : la loi sera rétroactive sur un an. Autrement dit, toutes les campagnes diffusées depuis juin 2024 pourraient se retrouver dans la mire. Toutes les industries sont concernées, du tourisme à l’agroalimentaire en passant par l’énergie. « Dès qu’une marque communique sur son positionnement écologique, elle doit pouvoir le prouver », insiste Valérie.
Une prise de conscience encore trop limitée
Le hic ? Bien des entreprises, et surtout leurs départements de comm, ne sont pas prêtes. « C’est souvent laissé entre les mains des services juridiques, mais en bout de ligne, c’est nous, les communicateur·rices, qui mettons ces messages sur la place publique », ajoute Valérie.
Un sondage de Deloitte révèle que 57 % des consommateur·rices cananadien·nes disent ne pas croire aux allégations « vertes » ou « éco-responsables » des marques, et un sur quatre trouve difficile de distinguer le vrai du marketing. Ce manque de transparence freine l’achat responsable : près de la moitié refuse de payer plus pour des produits durables faute de certitude sur leur réelle valeur écologique.
Mais cette loi pourrait inverser la tendance, estime Valérie. « Elle va permettre aux entreprises d’être plus rigoureuses et à s’assurer que leurs allégations sont fondées. Je pense qu’on a besoin de cette loi-là pour justement rétablir le lien de confiance avec les citoyen·nes. »
Former pour accompagner la transition
Depuis janvier, Masse Critique a lancé une formation accessible à tous·tes, dont une le 7 mai dernier avec le Grenier. « L’objectif est d’accompagner les entreprises avec des formations en ligne, en présentiel et directement en agence ou en entreprise. On fait aussi beaucoup de contenu éducatif sur les réseaux sociaux et des conférences en agences de pub », précise Valérie.
Beaucoup d’entreprises sollicitent cette formation pour leurs équipes marketing et communication, mais aussi pour leurs départements légaux, car la loi touche toutes les communications destinées aux consommateur·rices, y compris le B2B et les réseaux sociaux.
Et des marques exemplaires, ça existe ?
« C’est une question compliquée, parce qu’à moins d’avoir une vision complète des pratiques d’une entreprise, il est difficile de distinguer une campagne réellement engagée d’un simple coup de comm’. Prenons Décathlon, une marque très aimée des Français·es : en Europe, elle était citée en exemple pour son engagement en environnement et en diversité. Je la citais souvent comme référence. Puis, on a appris qu’elle venait d’être accusée de bénéficier du travail forcé des Ouïghours en Chine. Ce genre de révélations alimente le cynisme des consommateur·rices », illustre Valérie. D’après elle, c’est justement là que la loi peut jouer un rôle clé : imposer plus de rigueur aux entreprises sur leurs engagements, et ainsi restaurer la confiance du public.
Invitation aux entreprises à réfléchir autrement
Mais au-delà de la loi, c’est tout le processus de création et de diffusion des messages qui mérite d’être repensé. Communiquer, oui — mais pourquoi, comment, et avec quelles preuves ? C’est ce genre de réflexions que Masse Critique invite les entreprises à entamer bien en amont du brief créa.
« On a créé une charte de réflexion à activer avant même de penser à communiquer. Il faut d’abord comprendre pourquoi on veut prendre la parole. Si c’est juste parce que c’est tendance, sans que ce soit véritablement ancré dans l’organisation, ça devrait être un stop. Ensuite, on invite beaucoup les entreprises à consulter leurs parties prenantes, parce qu’on a tous des angles morts. En tant que marketeurs, on communique en fonction de nos objectifs, mais aussi de nos biais : on ne peut pas tout voir. C’est en écoutant les personnes concernées par les enjeux sociaux ou environnementaux qu’on peut réellement comprendre et ajuster notre posture. Et enfin, aucune allégation ne devrait être faite sans preuve. Ce n’est pas parce qu’on le pense, ou que le concurrent le dit, qu’on peut l’affirmer. Il faut pouvoir le prouver », explique Valérie.
Et loin de tuer la créativité, ce nouveau cadre ouvre plutôt la voie à un marketing plus sincère, et donc potentiellement plus puissant. « On est en pleine période de transition, mais ce n’est pas une première : en Australie, en Nouvelle-Zélande ou en Europe, des lois similaires, parfois encore plus strictes, existent depuis des années. Oui, l’adaptation est complexe, mais elle pousse aussi à repenser la création. Beaucoup de pubs axées sur l’environnement sont incroyablement créatives », résume-t-elle.