L’essor fulgurant de l’intelligence artificielle générative a conduit à une explosion de la consommation d’électricité dans les centres de données. Selon le dernier rapport de Deloitte sur les technologies, médias et télécommunications, la consommation énergétique de ces centres pourrait doubler d’ici 2030, atteignant 4 % de la consommation mondiale d’énergie. Aux États-Unis, la consommation des centres de données pourrait atteindre 12 % révèle un reportage de Radio-Canada, menaçant ainsi de provoquer une véritable crise énergétique.
Pour Géraldine Angulo, experte en numérique responsable, membre du conseil d’administration de Masse Critique et référente locale de la Fresque du Numérique au Canada, il est fort probable que les impacts environnementaux liés aux centres augmentent exponentiellement par rapport à ceux liés aux équipements.

« L’arrivée massive de l’IA, mobilisant de fortes capacités de calcul dans les centres de données, modifie en profondeur les projections de consommation à moyen terme, avertit l’experte. Un signal d’alarme qu’on ne peut se permettre d’ignorer. »
Les centres de données, véritables preuves physiques de l’existence d’Internet, sont présents partout sur la planète. Ces immenses infrastructures, hyper énergivores, génèrent un impact environnemental et social majeur. Il s’agit de bâtiments nécessitant des systèmes de refroidissement permanents, souvent alimentés par des sources d’énergie non renouvelables, entraînant une augmentation exponentielle des émissions de gaz à effet de serre (GES) ainsi que l’apparition de nouvelles solutions énergétiques encore plus préoccupantes, comme la relance de centrales nucléaires à laquelle participe Microsoft depuis l’automne dernier.
« Jusqu’en 2022, la plus grande part de l’énergie consommée a été liée à l’utilisation des terminaux utilisateur plutôt qu’aux des centres de données ou aux réseaux, considérés comme des infrastructures énergivores, mais relativement stables grâce à des programmes d’efficacité énergétique », explique Géraldine Angulo en s’appuyant sur les chiffres de l’l’Agence de la transition écologique. « Cependant, depuis l’essor de l’IA, cette situation a changé. Les centres doivent désormais répondre à une demande croissante de stockage et de puissance de calcul pour entraîner les modèles d’intelligence artificielle. »
Au Québec, l’augmentation de la demande en énergie pourrait par exemple entraîner la création de nouveaux barrages hydroélectriques, avec des conséquences directes sur la biodiversité, le climat et les populations locales.
« La surconsommation exerce une pression colossale sur les réseaux énergétiques, menaçant de provoquer des pénuries et d’aggraver les inégalités d’accès à l’énergie. Ce sont toujours les territoires les plus vulnérables qui en souffrent le plus », affirme Mme Angulo.
Mais est-ce que cela signifie que les entreprises et agences québécoises devraient reculer face à l’IA pour limiter ses répercussions environnementales et sociales ? Géraldine Angulo plaide plutôt pour une prise de conscience accrue des risques et l’adoption d’une approche responsable.
« Pour l’instant, on est encore dans une phase d’effervescence. L’IA est en pleine expansion : les entreprises veulent l’intégrer dans leurs offres, les équipes montent en compétence et la pression est forte pour ne pas passer à côté de l’opportunité. Cela dit, on peut déjà poser des gestes pour favoriser son utilisation responsable. »
Les entreprises ont plusieurs leviers à leur disposition pour limiter leur impact. Les actions clés à mettre en place : sensibiliser les équipes, mesurer l’empreinte écologique des technologies et adopter de bonnes pratiques numériques responsables. « Heureusement, au Québec, on peut compter sur des organisations académiques comme Mila, l’Institut de recherche en intelligence artificielle, dont les travaux rigoureux documentent les impacts environnementaux du numérique et proposent des pistes de solutions concrètes pour les réduire », souligne Géraldine Angulo.
Parmi ces solutions, il y a l’optimisation des modèles d’IA, la réduction de leur taille, le ciblage précis des cas d’usage, l’optimisation des phases d’entraînement, la mutualisation des ressources et, surtout, se poser les bonnes questions : pourquoi utilise-t-on l’IA, pour qui et à quel coût ?
Cette démarche est d’autant plus cruciale pour les entreprises technologiques qui jouent un rôle clé dans la transition vers un numérique plus responsable. Celles-ci doivent revoir leur manière de concevoir, développer et déployer leurs infrastructures en intégrant systématiquement un volet responsable dans leurs stratégies numériques. Cela inclut non seulement la réduction de l’empreinte carbone de leurs infrastructures, mais aussi la sensibilisation des clients aux impacts environnementaux du numérique et de l’IA, et la promotion de comportements plus responsables.
Certaines industries, comme la communication et le marketing, occupent également une position stratégique en influençant la perception publique des technologies. « Ces secteurs façonnent l’imaginaire collectif autour de l’innovation technologique. Par conséquent, adopter une approche plus responsable dans la conception, la diffusion et la mise en marché des produits et services numériques peut aider à encourager des usages plus éthiques et durables, tant du côté des entreprises que des consommateur·rices », ajoute Mme Angulo.
Les individus, eux aussi, peuvent contribuer à réduire l’empreinte environnementale de l’IA en adoptant des comportements numériques plus sobres, tels que limiter les usages inutiles, optimiser l’utilisation des appareils et réduire la consommation des services en ligne.
Mais il faut aller encore plus loin, soutient l’experte. Tout ce travail ne peut se faire sans une collaboration renforcée entre les différents acteurs : les gouvernements, qui ont un rôle clé à jouer dans la régulation ; les milieux académiques, qui alimentent la réflexion critique et la formation ; et les entreprises, qui doivent traduire ces principes en actions concrètes.
« La responsabilité numérique est une affaire collective. C’est en unissant nos efforts qu’on pourra faire de l’IA un levier de transformation aligné avec les enjeux sociaux et environnementaux de notre époque », conclut-elle.