Drôle de coïncidence : à l’approche du Jour de la Terre, Équiterre a publié un rapport qui met en lumière un angle encore peu exploré des enjeux environnementaux — celui de la publicité commerciale. Avec un marché évalué à près de 21 milliards de dollars en 2023, dont 70 % investis dans le numérique, la publicité canadienne exerce une influence majeure sur nos comportements de consommation. Le rapport indique qu’en vantant constamment un « nouveau modèle », elle peut encourager le remplacement prématuré des biens, contribuant ainsi à l’augmentation des émissions indirectes de GES. Mais attention, plutôt que de pointer du doigt, le rapport ouvre plutôt la porte à une réflexion constructive. Car bonne nouvelle : plusieurs agences sont déjà conscientes de leur impact et se montrent réceptives à l’idée de repenser leurs pratiques. Mention de l’empreinte écologique dans les publicités, limites claires sur certains messages, soutien à des modèles d’affaires plus durables… et si la publicité devenait un levier de transition ? Et surtout, quel rôle les publicitaires peuvent-ils avoir auprès de leur clientèle ?
Rapport d’Équiterre : un électrochoc nécessaire pour l’industrie publicitaire ?
Avec son titre évocateur — Publicité et surconsommation : encadrer les messages publicitaires pour tendre vers une sobriété collective — le rapport d’Équiterre entend poser les bases d’un changement de paradigme. Son ambition : faire de la publicité non plus un moteur de consommation à tout prix, mais un levier de transition écologique. « Notre objectif avec ce rapport était d’entamer la conversation autour du rôle de la publicité dans les crises écologiques actuelles, mais aussi d’entamer cette conversation avec l’industrie elle-même », explique Julie-Christine Denoncourt, analyste en réduction à la source chez Équiterre.
Car ce qu’on en comprend, c’est qu’avec ce rapport, Équiterre a une vision double dans le temps : à court terme, elle veut provoquer une véritable prise de conscience au sein des agences quant à leur rôle dans la crise climatique — qu’elles cessent de minimiser l’impact réel de la publicité et du marketing sur les comportements de consommation. À moyen et long terme, Équiterre souhaite un réel virage vers des pratiques plus responsables et des client·es plus cohérent·es avec la transition socio-écologique. « Il y a une grosse dissonance cognitive dans le milieu de la publicité en ce moment, observe l’analyste en réduction à la source. Beaucoup de personnes veulent contribuer au changement, mais elles sont conscientes de travailler dans un secteur qui peut empirer la situation. »
Sachant cela, la surprise n’est donc pas tant étonnante : les agences consultées dans le rapport se montrent ouvertes à certaines mesures d’encadrement. Bonne nouvelle ?
Regards croisés : perspectives de LG2
Chez LG2, le rapport d’Équiterre n’a pas laissé les équipes indifférentes. Pour Sophie-Annick Vallée, associée et cheffe de la stratégie, il vient confirmer un besoin urgent de réflexion, mais aussi de nuance : « On a besoin d’un électrochoc, oui. Mais attention à ne pas transformer notre métier en bête noire. » Selon elle, la publicité est d’abord un outil de communication puissant, qui peut influencer positivement les comportements — à condition de bien s’en servir.
Kate Gouron, directrice principale, impact et communications, abonde dans le même sens : « C’est facile de dire que le ciblage publicitaire est le problème. Mais un bon ciblage peut permettre de parler aux bonnes personnes, de les sensibiliser aux bonnes causes, et de réduire le gaspillage d’attention. » Pour elle, le vrai défi est stratégique : il faut sortir d’une logique purement transactionnelle et redéfinir l’intention derrière chaque campagne.
Toutes deux soulignent que les agences ne peuvent porter seules la responsabilité de la surconsommation. « Le client demeure décisionnel à la fin », rappelle Kate Gouron, mais cela n’empêche pas les agences de jouer un rôle de vigie, d’aiguiller leur clientèle vers des pratiques plus cohérentes avec les attentes citoyennes.
À ce propos, Sophie-Annick Vallée insiste : « Plus on gagne en influence, plus on peut démontrer que les mentalités changent. Il faut saisir ces opportunités pour teinter les décisions. » Ensemble, elles défendent une approche lucide, ancrée dans le réel, mais résolument tournée vers le changement.
Les défis concrets : vers une profession qui tend vers la responsabilité
Ce que nous disent les deux professionnelles de LG2, c’est que l’agence ne se contente pas de théoriser ses pratiques : elle travaille à les appliquer. Avec l’obtention récente de sa certification B Corp, LG2 solidifie sa promesse d’être une entreprise ouverte au changement et responsable. Pour Sophie-Annick Vallée et Kate Gouron, le rapport d’Équiterre trouve une résonance assez concrète dans les valeurs de l’entreprise. Le chemin vers une publicité plus responsable passe par une série d’actions bien réelles — parfois modestes, mais porteuses. Cette démarche s’appuie sur une volonté d’analyse rigoureuse de leur propre rôle dans la chaîne de consommation. À ce propos, Sophie-Annick Vallée distingue trois niveaux d’intervention : d’abord, la production du produit ou du service en lui-même. Ensuite, ce qui est généré par la commercialisation du produit et finalement les émissions émises par l’agence en tant que partenaire. « Il faut mesurer comment nous-mêmes on contribue aux émissions, mais aussi ce qu’on valorise par notre créativité. »
À titre d’exemple, dans un projet mené avec l’entreprise Stefano, LG2 a revu l’étiquetage des produits afin d’en faciliter le recyclage. Un geste simple en apparence, mais révélateur : « Ce sont des microdécisions qui ont un réel impact. L’écoconception, ça commence là », explique Kate Gouron.
La dimension numérique n’est pas en reste, à en croire Équiterre. « Comme notre rapport le met de l’avant, précise Julie-Christine Denoncourt, il est important de cibler également la publicité numérique puisqu’en termes d’investissements, il s’agit de la forme de publicité la plus importante et celle qui augmente le plus depuis les dernières années. » Du côté de LG2, on tente de rester le plus à l’écoute des pratiques les plus responsables, et ce, même dans les plus petits détails. « Il faut se garder à l’affût et guider nos client·es vers ces décisions. Il n’y a pas de solution unique. Tout dépend aussi du niveau de maturité du client face aux changements responsables mis en place », précise-t-elle.
Mais les obstacles demeurent, notamment pour les PME québécoises, qui n’ont pas toujours les moyens de mettre en œuvre ces pratiques. D’où l’importance des dialogues ouverts, basés sur la vision d’affaires. « Quand un·e client·e est prêt·e, on y va à fond, affirme Sophie-Annick Vallée. On ne veut pas non plus que tous nos client·es soient des Patagonia, poursuit Kate Gouron. L’important quand on se lance en collaboration, c’est de sentir que la volonté de faire mieux est là. »
Les deux professionnelles insistent : les entreprises qui ont déjà des réflexions et des pratiques sur ces enjeux auront une longueur d’avance — pas seulement éthique, mais stratégique. La transformation ne viendra pas d’un seul coup, mais bien d’une somme de décisions éclairées, prises ensemble, avec lucidité… et conviction.
Un pas vers plus de régulation : la loi C-59 comme tremplin
Dans ce paysage en transformation, la loi C-59 — qui vise à encadrer plus strictement les pratiques publicitaires trompeuses, notamment en matière d’environnement — apparaît comme un levier potentiel. Pour les deux professionnelles de LG2, cette nouvelle législation est non seulement bienvenue, mais nécessaire. « C’est une excellente chose », affirme Kate Gouron. Selon elle, la loi facilitera la compréhension des consommateur·rices, souvent perdu·es dans un océan de messages flous ou de promesses exagérées. « Un de nos rôles comme agence est justement d’éviter l’écoblanchiment, de ne pas ajouter à la confusion. »
De son côté, Sophie-Annick Vallée voit dans cette loi l’occasion d’élever les standards et d’encourager les entreprises à formaliser des pratiques plus vertueuses. Elle estime que pour celles qui n’avaient pas encore entamé cette réflexion, C-59 « forcera le changement » et amènera les discussions à un autre niveau. Mais surtout, cette loi pourrait servir de tremplin vers une meilleure transparence et vers une responsabilisation accrue du secteur. Car si l’industrie publicitaire sait s’adapter, elle gagne à le faire de manière proactive, en devenant elle-même actrice du changement plutôt que de simplement réagir aux règles. « L’important, ce n’est pas de se comparer entre agence qui est la plus responsable ou non ; c’est de vouloir ensemble embarquer dans un mouvement qui va être au bénéfice de tous et toutes : la société, notre industrie et nous-mêmes, en tant que professionnel·les », termine enfin Sophie-Annick Vallée.
Un rapport qui ouvre un dialogue nécessaire d’une industrie
Comme le rappelle Sophie-Annick Vallée, l’enjeu n’est pas de désigner les bons ou les mauvais élèves, mais bien de bâtir collectivement une industrie plus responsable. La publicité, souvent perçue comme partie du problème, peut aussi devenir un puissant levier de transformation — à condition de réfléchir différemment, de collaborer davantage, et d’accepter une part de remise en question.
Un bon rappel que le rapport d’Équiterre ne condamne pas : il invite au dialogue, en posant des balises claires mais évolutives. Et les réactions du terrain, notamment chez LG2, montrent qu’une partie de l’industrie est non seulement prête à écouter, mais déjà en action. Alors que la crise climatique impose des choix courageux, la publicité peut, elle aussi, choisir de faire partie de la solution — avec créativité, rigueur… et un brin d’audace.
Équiterre propose des solutions pour combattre l’obsolescence : « On pourrait interdire certaines expressions comme “passez au nouveau modèle” ou “échangez votre appareil” qui encouragent directement le remplacement prématuré », explique Julie-Christine Denoncourt.
Quelques faits saillants du rapport d’Équiterre
- 20,86 milliards $ : ça, c’est la valeur estimée du marché publicitaire au Canada, qui a connu une croissance de 7,7 % comparativement à 2022.
- 70 % des investissements sont en publicité numérique, en forte croissance.
- 10,3 mégatonnes d’équivalent dioxyde de carbone : ce montant représente la quantité de GES générés indirectement par la publicité au Québec en 2023. C’est énorme — pour donner un ordre d’idée, c’est à peu près l’équivalent des émissions annuelles de plus de 2,5 millions de voitures.
- ⬆️ : Le crédit à la consommation grimpe en flèche avec les dépenses des foyers en biens technologiques.