Cette série poursuit l’exploration des dynamiques invisibles qui minent (ou transforment) la culture d’agence.
Dans l’épisode précédent, le départ de Zarah a ébranlé Marc plus qu’il ne l’aurait cru.
Cette semaine, il lance une consultation interne. Et il réalise que parfois, écouter tout le monde peut mener à… ne plus savoir quoi faire du tout.
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Marc ne dort plus. Pas vraiment.
Depuis le départ de Zarah, quelque chose est tombé à plat en lui. Ce n’est pas juste la perte d’une employée. C’est comme si son plan avait perdu sa colonne vertébrale. Et depuis sa discussion avec Isabelle, il ne peut plus se raconter d’histoires.
Il sait qu’il a fait fausse route. Qu’il a sauté trop vite à l’action.
Qu’il a cru qu’un bon plan bien intentionné pouvait compenser l’absence d’une vraie écoute.
Alors il décide de ne pas chercher la bonne réponse.
Il invite dix personnes. Pas les gestionnaires. Pas les plus bavards. Pas ceux qui lèvent la main.
— Y’a pas de structure aujourd’hui. Je veux comprendre ce que vous vivez ici. Ce qui fait du bien, ce qui vous use. Ce que vous n’avez jamais dit. Pis si ça vous tente pas de parler, ça me va aussi.
Ils s’installent. Ils se regardent. Personne ne parle pendant un moment. Puis une voix sort du fond :
— J’ai plus de mots pour décrire ma job à mes amis. J’sais juste que j’ai plus l’énergie le soir sauf pour écouter la télé-réalité et éteindre mon cerveau.
Une autre enchaîne :
— C’est pas que j’aime pas mon travail. C’est juste que je l’aime plus de la même façon. Et je ne sais même plus pourquoi je l’ai choisi.
— On parle de passion, mais la passion, ça paie pas la garderie.
— C’est comme si on attendait qu’on s’épuise pour nous écouter.
Marc reste silencieux. Il prend des notes, mais surtout, il reste dans le regard des gens. Il ne regarde pas sa montre. Ni son téléphone. Il ne cherche pas à recadrer.
Et là, ça sort.
« On parle de créativité, mais j’ai pas créé depuis des semaines. Je gère. J’itère. Je livre. Je présente. »
« J’ai jamais appris à dire non à un client. Personne m’a dit comment. »
« On nous dit d’être innovants, mais tout est pressé. Tout est craintif. Y’a pas d’espace pour explorer. »
« J’ai l’impression qu’on me demande d’être brillante en 18 minutes entre deux meetings. »
« Vu qu’on travaille en hybride, j’ai de la misère à me rapprocher de mon équipe. J'aimerais ça, avoir un budget pour les sortir manger des fois. »
« On fait des Zoom pour tout et rien. Surtout rien. Ça coûte cher pour les clients, nos meetings, j’trouve. On pourrait faire la moitié de ces meetings d’une heure en moins de 15 minutes! »
« Mon ex travaille dans une agence qui fait ce qu’on fait en quatre jours semaine mais elle est top shape. Je suis jalouse. »
Marc sent sa gorge se serrer. Pas parce qu’il est choqué. Parce qu’il comprend.
Il repense à ce que Zarah lui a dit :
« Tu veux transformer, mais t’as pas les bons paramètres. »
Il repense à Isabelle :
« Tout le monde choisit le degré auquel on veut se faire chier.«
Et là, devant lui, ce sont des gens qui n’ont plus envie de choisir entre se faire mal ou se taire.
Ce ne sont pas des employés démoralisés.
Ce sont des gens qui savent exactement ce qu’ils vivent, mais qui n’avaient jamais eu l’espace pour le nommer chez eux. Entre eux. Avec lui.
Il comprend alors que ce qu’il a tenté de faire avant, c’était appliquer un baume sans demander où ça faisait mal. Et donner de l’espace pour nommer ce qui brûle, c’est permettre aux gens de décrire la douleur avant de leur vendre l’antidote.
Il sort de la salle. Bouleversé. Pas sauvé. Mais déplacé.
Marc ne sait pas quoi faire, maintenant.
Il n’a toujours pas de plan.
Il n’a même pas de structure pour organiser ce qu’il a entendu.
Mais il sait que ce n’est pas un plan qu’il lui faut.
C’est un système pour continuer à écouter.
Et une tolérance nouvelle à l’inconfort.
—
Marc ressort son carnet de notes.
Est-ce que je suis capable d’habiter une période sans solution ?
Et si le vrai courage, c’était de ralentir assez pour laisser émerger ce qu’on ne veut pas entendre ?