Le saviez-vous ? Donald Trump aurait cumulé 30 573 déclarations fausses ou trompeuses durant son premier mandat.Fait très étonnant pour un public peu habitué au Fact Checker du Washington Post, mais pourtant ce genre de vérification est de la poutine quotidienne pour le Post. Avec cet outil rigoureux et nécessaire que le média a développé, le Fact Checker vise à remettre les pendules à l’heure face aux dérives politiques, illustrant l’effort constant des médias sérieux pour combattre la désinformation ambiante. En constatant que beaucoup de gens éduqués ignorent l’existence du Fact Checker, il faut admettre que malgré sa pertinence indéniable, cet outil reste largement méconnu du grand public.
Cette méconnaissance illustre parfaitement l’un des constats du récent rapport 2025 de l’Institut Reuters sur le journalisme, les médias et les technologies publié en janvier 2025, qui alerte sur la crise grandissante de confiance envers les médias traditionnels. À l’heure où les habitudes médiatiques changent rapidement, dans un climat politique mondial de plus en plus polarisé et marqué par la désinformation, une question est sur toutes les lèvres : comment reconquérir un public méfiant ?
Diagnostic clair d’une crise
En approfondissant le sujet, on se rend vite compte que le rapport 2025 de l’Institut Reuters n’y va pas par quatre chemins : la confiance envers les médias traditionnels est clairement en crise. Ce n’est pas juste une impression subjective, mais bien un phénomène documenté, mesurable, et malheureusement en croissance constante.
Ce qui interpelle particulièrement, c’est cette idée d’évitement volontaire de l’information. De plus en plus de personnes préfèrent simplement décrocher, que ce soit par fatigue mentale ou parce qu’elles n’arrivent plus à discerner le vrai du faux. D’ailleurs, le rapport Reuters démontre bien que la crise de confiance n’est pas uniquement due à la désinformation ambiante, mais aussi à de multiples facteurs tels que : l’intégration de l’intelligence artificielle dans les rédactions ; les changements dans la consommation d’information chez les jeunes ; les défis de monétisation pour les médias traditionnels ; les réserves concernant les abonnements numériques et… la baisse de confiance et l’évitement de l’information.
La réponse québécoise - Le cas de La Presse
En réfléchissant à ce phénomène de crise de confiance généralisée, on est en droit de se questionner à savoir si cette tendance inquiétante s’applique également chez nous, au Québec. Pour en avoir le cœur net, François Cardinal, vice-président Information et éditeur adjoint de La Presse, nous apporte un éclairage rassurant.
Selon lui, bien que l’évitement et la défiance soient ressentis ici aussi, la situation québécoise présente des nuances importantes. Cardinal souligne avec justesse : « On lit ce qui s’écrit sur les réseaux sociaux comme tout le monde. On sent la colère et la défiance. Mais il faut faire attention de ne pas en grossir la portée. Il faut faire attention, en fait, de ne pas importer au Québec des problèmes qui sont plus importants ailleurs. Si vous consultez les différents sondages d’opinion, vous constaterez bien vite que le Québec fait bande à part. La confiance envers les médias est haute, en comparaison avec le reste du Canada et de l’Occident. »
Cette particularité s’explique notamment par la proximité et le dialogue entretenus par les médias d’ici avec leur public. À La Presse, ça passe par une d’initiatives concrètes destinées à renforcer cette confiance. Par exemple, le média mise énormément sur la transparence, tant dans ses processus éditoriaux que dans ses échanges réguliers avec ses lecteur·rices. L’objectif est clair : rendre l’information moins anxiogène et plus accessible grâce à une meilleure contextualisation. Son modèle « gratuit » basé sur la contribution volontaire est d’ailleurs souvent cité comme une alternative innovante. « Ce modèle, dont nous sommes très fier·ères, montre des résultats après six ans qui sont bien au-delà de nos attentes. » Partant d’une question centrale, soit pourquoi le journalisme de qualité devrait-il être réservé à celles et ceux qui ont les moyens de payer ? - l’équipe de La Presse constate en effet le succès de l’initiative. « En 2024, explique François Cardinal, nous avions 62 000 donateur·rices, qui ont contribué à hauteur de 9 millions à La Presse. C’est au-delà de ce que nous avions prédit. Et cela nous prouve l’attachement des Québécois·es pour une information de qualité offerte à tous et à toutes. »
Ce n’est qu’une partie des efforts menés par le média. En effet, depuis peu, les articles traitant de sujets sensibles comme les guerres en Ukraine ou en Israël sont précédés de faits saillants et accompagnés de boîtes explicatives facilitant la compréhension des enjeux. François Cardinal précise que La Presse a même été jusqu’à rebaptiser sa section « Débats » en « Dialogue », afin d’ouvrir davantage les échanges plutôt que d’alimenter des polémiques stériles. C’est là une façon intelligente, et surtout humaine, d’aborder la crise actuelle en retissant progressivement le lien entre médias et public.
Facteurs aggravant la crise
En cherchant à mieux comprendre pourquoi cette crise de confiance envers les médias s’accélère partout dans le monde, et ce, malgré les efforts de nombreux médias, force est de constater que le problème dépasse largement les frontières du Québec. La polarisation politique semble être devenue la norme dans plusieurs pays, comme le souligne très justement Mitali Mukherjee, directrice intérimaire du Reuters Institute : « Les inquiétudes du public face à la désinformation sont souvent moins motivées par des informations totalement inventées que par un journalisme jugé superficiel. »
Un journalisme jugé superficiel ? À l’ère de la prolifération de contenus et d’influence sur le web, on est en droit de se questionner sur qui porte le chapeau légitime de la vérité. Or, selon le rapport de Reuters, le public a de plus en plus l’impression que les médias traditionnels peinent à traiter en profondeur les sujets complexes.
À cela s’ajoute un nouveau joueur inquiétant : l’intelligence artificielle. Michael Savage, rédacteur en chef médias au Guardian, résume parfaitement cette crainte : « Ce qui nous empêche [les journalistes] de dormir, c’est l’IA qui s’interpose entre nous et l’utilisateur·rice. »
François Cardinal, lui aussi, reconnaît ce risque existentiel. Lorsqu’il évoque l’IA générative, il précise « [qu’] à force d’évolution, l’IA est de plus en plus difficile à détecter. Les journalistes sont dans une quête de vérité… alors que l’IA générative est l’antithèse même de la vérité. »
Cette remarque de l’éditeur adjoint de La Presse illustre une réalité préoccupante : malgré les opportunités évidentes que l’IA offre en matière d’efficacité, elle contribue aussi à une vision industrialisée, impersonnelle et potentiellement appauvrie du métier de journaliste. Qu’on le veuille ou non, l’IA complexifie encore davantage la question de la crédibilité, une préoccupation qui touche directement les citoyen·nes ordinaires, mais aussi, dans le contexte du journalisme, un public beaucoup plus vaste. Or, on le sait, l’IA ne représente pas uniquement une menace pour les médias ; plusieurs grandes rédactions s’en servent déjà efficacement comme d’une véritable alliée. C’est ce que souligne le rédacteur en chef médias du Guardian, lorsqu’il évoque l’usage positif de l’IA au sein même des salles de nouvelles. Des journaux aussi prestigieux que le Financial Times, le New York Times ou encore le Guardian l’utilisent déjà pour traiter d’immenses quantités de données, parfois avec des résultats très concrets.
Ces exemples démontrent clairement que l’IA, malgré les inquiétudes qu’elle suscite, peut aussi jouer un rôle précieux dans la mission journalistique. Mais une question demeure essentielle : quelle est la prochaine étape ? Selon des recherches universitaires relayées par Savage, les rédactions devront bientôt transformer leurs contenus pour les adapter directement aux préférences du public, qu’il s’agisse de résumés condensés, de formats audio ou même vidéo.
Vers des pistes concrètes
Face à ces défis complexes, quelles pistes peuvent explorer les médias traditionnels ? L’initiative du Journalism Trust Initiative (JTI), adoptée notamment par Radio-Canada, peut répondre en partie au problème en fixant des normes claires de transparence et de rigueur. Mais est-ce assez ?
François Cardinal insiste quant à lui sur un retour au « journalisme humain », adapté aux besoins réels des lecteur·rices. Il donne l’exemple des droits de douane imposés par Trump : plutôt que d’annoncer simplement la nouvelle, La Presse a offert du contexte et expliqué concrètement les répercussions pour les consommateur·rices québécois·es. Les médias peuvent donc travailler à restaurer leur crédibilité en proposant non seulement des faits, mais aussi du sens.
Médias alternatifs et pluralisation de l’information
Au-delà des solutions internes aux médias traditionnels, la montée spectaculaire des médias alternatifs mérite aussi réflexion. Nic Newman, chercheur à l’Institut Reuters, note que si cette émergence a contribué à la baisse de confiance envers les médias traditionnels (« passant de 60 % à 40 % »), elle répond aussi à un besoin croissant d’une information différente et plus libre.
Cette tendance s’inscrit dans « l’économie des créateur·rices » qui devient de plus en plus répandue dans le monde. On pense ici à Antho Tran, qui est suivi par plus de 280 000 personnes sur TikTok, et qui a cofondé Dix4 Info avec pour mission « d’informer la population québécoise, majoritairement sur les réseaux sociaux ». Ce genre d’initiative rejoint efficacement un public jeune. Est-ce que cette diversification pourrait finalement pluraliser l’information et atteindre un public auparavant négligé par les médias classiques ? Et ainsi, répondre à un des facteurs importants du rapport Reuters : soit le désintéressement des jeunes à l’actualité ?
Les communications : au centre du dialogue
Difficile d’arriver à une conclusion satisfaisante, non ? Chose certaine, la crise actuelle de confiance envers les médias, amplifiée par l’arrivée de l’IA et une fragmentation sans précédent du paysage médiatique, dépasse largement le cadre journalistique. Il semble cependant que cette crise interpelle directement les professionnel·les des communications et de la publicité. Car si les médias doivent reconquérir la confiance du public, nos instances de communication québécoises sont probablement les mieux placées pour les aider à redorer leur image avec créativité et pertinence.
Je ne sais pas, je lance l’idée ici… Mais il me semble que mille têtes valent mieux qu’une, hein ?